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Récit : ma nuit avec le photographe animalier Jérémie Villet

Récit : ma nuit avec le photographe animalier Jérémie Villet

Jérémie villet photographe

En 2019, Toucan a passé la nuit en forêt avec le photographe animalier Jérémie Villet. Ses photographies sont reconnues et ont reçu des prix prestigieux comme le Wildlife Photographer of the Year et le European Photographer of the Year. Toucan nous raconte le grand frisson et l’excitation qu’il a vécue cette nuit-là, aux côtés de cet homme pas comme les autres qui vit l’instant présent à chaque moment de sa vie. 

Mi-octobre en Sologne, quelque part au milieu de la forêt. La nuit est complètement tombée, je ne vois pas grand chose à plus de 10 mètres. Nous progressons en silence depuis presque 3 heures.

Sur le dos de Jérémie qui marche devant, un sac trois fois plus lourd que le mien. Il avance tout droit à travers les fougères et les fossés, en suivant le petit GPS suspendu autour de son cou.

On chuchote, on écoute. Régulièrement, un cri guttural, venu tout droit de Jurassic Park. Un mélange de l’idée que je me fais du vélociraptor qui crie « Famine ! » et du diplodocus en rut. J’ai du mal à réaliser que j’étais encore à Paris en début d’après-midi.

Alerte au sanglier : laie pas mauvais l’garçon

Tout à coup, Jérémie se fige et pousse un drôle de cri vers l’obscurité. On entend immédiatement une petite troupe qui détale dans la forêt, suivie d’un galop plus lourd.

En une seconde, j’imagine l’énorme sanglier qui va m’encastrer dans le gros chêne juste derrière nous.

Mais le galop s’éloigne, et Jérémie se tourne vers moi. Quelques étoiles éclairent un sourire surmonté d’une fine moustache blonde. “T’as eu les jetons hein ? Si je n’avais pas imité le cri d’alarme de la laie à ses marcassins, on débarquait en plein milieu du groupe et là, ça sentait mauvais pour nous”.

Quelques étoiles éclairent un sourire surmonté d’une fine moustache blonde…

photographe Jérémie villet
I’m a poor lonesome cowboy. I’m a long long way from home – ©Jérémie Villet

Passion animale : le photographe à moustache

Avec sa tête d’ange, je l’imaginerais bien faire du gringue à une jolie brune sur une terrasse parisienne, après une journée de travail dans de beaux bureaux du VIIIème arrondissement. Sauf que ce type là est un extraterrestre et que son travail ressemble à ça :

photographe Jérémie villet
Bœuf musqué – ©Jérémie Villet
photographe Jérémie villet
Macareux moine – ©Jérémie Villet

Quant à son bureau, il est souvent aménagé comme ça :

photographe Jérémie villet
Et il a souvent des problèmes de clim – ©Jérémie Villet

Jérémie a 25 ans et dort seul dans la forêt depuis qu’il a 12 ans. Cette année, il a passé 150 nuits dans la nature. Quand il revient en ville, il oublie de s’arrêter aux feux rouges.

Quand on parle de repartir dans la forêt, il dit :

photographe Jérémie villet
L’homme-chevreuil

Blanc sur blanc : travailler dans le grand Nord

Son truc à lui c’est de photographier les animaux qui vivent dans le tout blanc : son travail-passion l’emmène plusieurs fois par an dans les hivers du Nord de la Scandinavie, occasionnellement au Yukon ou au Japon. Si vous voulez le voir à l’action sur les traces d’une emblématique chèvre des montagnes au Canada, c’est par ici.

Il part alors pendant des jours par -35°C à travers l’immensité glacée, en tirant une pulka chargée de ce qu’il lui faut pour travailler et (sur)vivre : matériel photo, sac de couchage et tente, tubes de lait concentré, pâtes chinoises, bananes séchées. Sans oublier le réchaud pour faire fondre la glace qui servira à cuire sa tambouille.

Embouteillages sur le periph’ – ©Jérémie Villet
Pas d’itinéraire ni de programme sinon celui de skier le plus loin possible sur ces hauts plateaux sauvages. Loin, jusque là où l’homme ne va pas. Qui fait ça ?! Est-ce qu’on n’aurait pas trouvé le roi des idées à la con ?
Reines sauvages – ©Jérémie Villet

C’est du cerf-rieux : le roi de la forêt

On continue à marcher, en écoutant ici un cerf qui racle ses bois contre un gros arbre et là une biche qui aboie quand elle sent notre présence dans le noir. À nouveau un sanglier qui détale juste devant nous.

Je préfère ne pas m’imaginer seul dans cet angoissant désert d’obscurité. Je crois que je me roulerais en boule dans un fossé en appelant ma maman et que j’attendrais que la lumière revienne.

C’est à bâbord qu’on gueule, qu’on gueule… – ©Jérémie Villet

Il est minuit et demi, on s’arrête enfin au bord d’un lac asséché. On avale rapidement un casse-croûte avant de nous faxer dans nos bivy bags, des sortes de sarcophages imperméables qui protègent nos duvets de l’humidité.

Au dessus de nos têtes, le 400 mm sur son trépied est prêt à capturer des bestioles dans la brume et la lumière de l’aube.

Le lendemain, pas de cerf dans le téléobjectif. On remballe et on marche en direction des brames qu’on entend quelques centaines de mètres plus loin. Le jour se lève, la lumière est magnifique et Jérémie s’est pété une dent sur son trépied.

Dans les heures qui suivent, nous croisons la route d’absolument toute la famille de Bambi. Le brame profond et rauque des anciens (8 à 12 ans) aux bois majestueux, le combat entre les plus jeunes, les biches qui se baladent tranquillement au milieu de toute cette testostérone.

J’en ai la larme à l’œil dans mes jumelles. Il est maintenant possible de partir avec un pro pour avoir la chance d’assister à ce spectacle que nous offre la nature : le brame du cerf, un chant impressionnant et séducteur que l’on peut entendre de mi-septembre à mi-octobre dans la plupart des forêts de France et de Navarre.

Le temps n’a aucune importance, il disparaît absolument. Nous sommes totalement dans l’instant, tous nos sens en éveil, sans penser à autre chose qu’à ce que nous sommes en train de vivre.

C’est ce sentiment que Jérémie vient chercher dans la nature, souvent loin des copains.

Pendant que nous tentons de libérer du temps et de l’attention en désactivant quelques-unes des notifications de nos téléphones, son quotidien est uniquement contraint par la présence des animaux et les conditions de luminosité.

Quand il me propose de rester un jour de plus dans la forêt, j’ai presque honte de lui répondre que j’ai des rendez-vous à Paris dans la journée.

Moi j’ai besoin d’amouuuur, des bisous des câlins ! – ©Jérémie Villet
En tout cas, pour vous remettre les pendules à l’heure, on vous conseille de partir crapahuter avec le photographe Jérémie Villet. 
[Vous avez adoré cet article en septembre 2019, nous l’avons complété et rediffusé en septembre 2022]

Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.