Récit : « Je me suis coupé du monde pendant 10 jours »
En 2017, j’ai fondé Chilowé en criant haut et fort : « Pas besoin d’aller à l’autre bout du monde pour vivre une aventure ». 6 ans et deux bébés plus tard, j’ai changé de slogan : « Pas besoin d’attendre la retraite pour faire un break ! ». L’expérience que je vais vous raconter ici est unique et certain·es d’entre vous se demanderont quelle mouche m’a piqué. Eh bien je vais vous répondre : cette mouche portait une robe de moine bouddhiste et se levait à 4h30 pour méditer 12 heures par jour. Au cas où vous croisiez son chemin, et avant de vous lancer dans une retraite Vipassana de 10 jours comme je l’ai fait, lisez bien cet article.
Sommaire
Vipassana, c’est quoi ?
Vipassana est une technique de méditation popularisée dans les années 70, par le professeur Satya Narayan Goenka. Elle vise à explorer son monde intérieur et à ne considérer que l’instant présent afin de purifier son esprit. Face à la très forte demande, S. N. Goenka décide d’ouvrir plusieurs centres en Inde, puis partout dans le monde. En France, le premier (et unique à ce jour) ouvre en 1982, dans l’Yonne. C’est là que je suis allé. Une retraite Vipassana dure 10 jours et se fait dans le silence, sans contact avec les autres méditant·es ou avec l’extérieur. C’est gratuit et l’association est financée exclusivement grâce aux dons des pratiquant·es. Si vous souhaitez vous inscrire, voici le programme des prochains cours.
Pourquoi je l’ai fait ?
Tout commence par une sombre histoire de balles de golf qui n’arrivent plus à rentrer dans un vase (voir la vidéo ci-dessous). L’impression que je vis à 100 à l’heure le nez vissé sur mon portable, stressé, souvent épuisé et avec l’impression de ne pas réussir à accorder du temps aux choses qui comptent.
Avant de tout plaquer pour aller élever des chèvres dans le Larzac, et sans aucune expérience de la méditation, je décide de m’inscrire à une retraite Vipassana. Le déclic arrive lorsque Loïc Le Meur, un entrepreneur qui m’inspire, en parle dans un podcast. À ce moment-là, j’ai l’impression de m’inscrire à l’ultra-trail du Mont-Blanc sans savoir courir. Ceci dit, ma sœur Victoire a bien décidé de traverser l’Atlantique à la voile, avant de savoir faire du bateau. Je dois bien pouvoir réussir à rester assis 12 heures par jour.
À quoi ressemble une journée type ?
L’enseignement Vipassana se résume en 3 mots : la moralité ; sila, la concentration ; samadhi et la sagesse ; pañña. Oui, j’ai fait Pali, 3e langue. Il y a 5 préceptes à respecter, comme celui de ne pas tuer (d’où la nourriture 100% végétarienne), de ne pas prendre ce qui n’est pas donné (d’où la gratuité du cours), de ne pas prendre d’intoxicants. Pas de Suze Tonic pendant 10 jours, ça va être dur ! Pour la concentration, le noble silence est demandé. C’est-à-dire pas de paroles ni de contacts visuels avec les autres méditant·es. Imaginez partager une chambre de 8m2 avec un·e inconnu·e sans pouvoir lui parler, ni le regarder dans les yeux… Il est également interdit de lire et d’écrire. Pendant une semaine, je deviens un simple numéro : le J7. Je dors avec J8 et je déjeune tous les jours à table avec J10 et J11.
Une journée type ressemble à ça : lever à 4h, puis méditation de 4h30 à 6h30 dans une grande salle (un « dhamma hall ») où nous sommes une centaine. D’un côté les femmes et de l’autre les hommes. Puis vient le moment du petit-déjeuner. Un bol de porridge, 2 pruneaux et un bol de café ! Le reste de la journée continue et se ressemble. Une 10aine d’heures de méditation entrecoupées de deux pauses. Un déjeuner à 11h et un goûter à 17h. Enfin une banane et 1 bol d’eau chaude citronnée. Pas de dîner, jusqu’à l’extinction des feux à 21h30.
Au bout de quelques jours, l’effet du silence sur le mental est incroyable. La solitude fait place à un état de plénitude. Je me sens calme, attentif, créatif et tellement dans l’instant présent. La magie commence à opérer et je sens que mon esprit se nettoie. Lors des méditations, je vois défiler ma vie. La réalité est mélangée à la fiction. Un matin, je vois ma professeur de CE2 accoucher d’un paquet de Chocapic sur le bureau de la classe. J’ai toujours adoré les Chocapic.
Couteau, scalpel et clef de ta 106
Pour la plupart d’entre nous, le terme retraite signifie se la couler douce, prendre soin de soi et ralentir. Je découvre rapidement que c’est exactement l’inverse et que je vais devoir travailler dur pour y arriver. Je comprends aussi qu’on est à l’hôpital mais que je ne serai pas le patient. Je suis le chirurgien et c’est mon esprit que je vais devoir opérer.
On me dit qu’en travaillant dur, c’est-à-dire en méditant plus de 10 heures par jour, je devrai pouvoir obtenir des résultats satisfaisants. Aussi, pour la plupart d’entre nous, la méditation est une technique de relaxation souvent utilisée pour déstresser et parfois, s’endormir. Là, cela n’a rien à voir et il n’y a pas de jolie voix douce pour nous bercer. La seule instruction est d’observer l’air qui rentre et qui sort du nez, sur une petite partie située entre la lèvre supérieure et les narines.
Je suis un homme Chevreuil
Je dois vous faire une confidence. Depuis tout petit, je rêve d’avoir un super-pouvoir : celui de vider la mer ou raser la forêt, juste le temps de voir tous les animaux qui s’y cachent. J’ai toujours l’impression qu’on marche en forêt ou qu’on navigue en mer en ne voyant rien… Un matin, alors que je me balade dans le parc*, je tombe nez à nez avec un chevreuil : Merlin (c’est le petit nom que je lui ai donné). Il me passe à quelques mètres. Je l’observe, il m’observe. Tout n’est que silence et calme. Il n’a pas peur. Bonheur. Le lendemain, j’espère le revoir mais je ne le vois pas. Tristesse. Le surlendemain, j’y retourne sans aucune attente et j’aperçois ses petits bois recouverts de duvet au milieu de la prairie. De nouveau, bonheur.
Pour la première fois de ma vie, je vois ce que je ne voyais pas. Je ressens ce que je ne ressentais pas. Mais je réalise aussi, comme Schopenhauer, que la vie oscille comme un pendule, de la souffrance à l’ennui. Quand je n’ai pas ce que je désire, je suis déçu. Dès qu’un désir est satisfait, il en vient d’autres qu’il faudra bien accomplir. Et dès que l’on tue en nous le désir, c’est l’ennui qui pointe… Plutôt que de vous palucher Schopenhauer dans sa langue d’origine, prenez le temps de lire L’homme Chevreuil de Geoffroy Delorme.
*Parc : un demi-terrain de foot, avec une prairie à droite et une forêt à gauche. Rencontrer un Chevreuil ici est aussi probable que d’apercevoir un Éléphant sur le quai de la gare Montparnasse.
L’effet Banga
Vivre dans le moment présent signifie être en contact avec ce qui se passe à ce moment précis sans s’inquiéter pour le futur, ni penser au passé. C’est tellement difficile. J’ai l’habitude de de manger en travaillant et d’écouter un podcast en courant… Les premiers jours, l’esprit et le corps sont agités puis progressivement, je lâche prise. Le 7e jour, dans la dernière torture de la journée ou l’on n’a ni le droit de bouger les pieds ni les mains, je suis traversé par un état de flow incroyable. Les douleurs apparaissent et disparaissent aussi vite. En déplaçant mon attention sur mon corps, je suis parcouru de vibrations. Je me sens liquide. Lorsque le gong retentit, je m’écroule.
Le lendemain, j’en parle au professeur de méditation – la seule personne à qui l’on peut parler pendant le stage – il me dit que c’est l’effet Banga et me met sévèrement en garde. Ce n’est pas cela Vipassana. On doit chercher à observer les sensations de son corps, qu’elles soient bonnes, inexistantes ou mauvaises, au moment présent. Pas à se faire un kiff.
Mon bilan
Il y a des expériences dans la vie qui vous marquent à jamais. Vipassana en fait partie. En 10 jours, j’aurai pu faire bien d’autres choses, moi qui aime tant randonner, surfer ou pédaler la truffe au vent. Mais j’ai volontairement choisi de vivre une expérience nouvelle. Je crois beaucoup au fait d’expérimenter les choses pour approcher de la vérité. Certain·es se fient aux écrits. D’autres appliquent un raisonnement intellectuel. Moi j’expérimente. Et comme dit si bien Dindon Malicieux (ma maman), « l’expérience est une lanterne qui n’éclaire que celui qui la porte ».
Cette expérience, c’est celle d’une vie plus simple, en harmonie avec soi-même et avec les autres. S’il est encore tôt pour noter de grands changements dans ma vie, je crois pouvoir dire que je suis apaisé, ancré dans l’instant présent et que mes sens sont bien plus développés qu’avant. Hâtons-nous aujourd’hui de jouir de la vie, comme disait Racine. Car qui sait si nous serons demain.
Voici 5 choses que j’ai adoré :
- Être coupé du monde (pas de tel, pas de news, pas de divertissements).
- La rapidité avec laquelle j’ai progressé en méditation.
- Tout est fait pour qu’on ne se pose aucune question. L’organisation est remarquable.
- La sensation de plénitude liée au « silence mental ».
- La nourriture full végétarienne et l’absence de repas le soir.
Voici 2 choses que je n’ai pas aimé :
- Certains discours du soir un peu trop dogmatiques.
- De ne pas avoir été préparé au retour à la vie normale (très (très) difficile, j’ai trouvé).
Foire aux questions
- Est-ce que c’est dur ? Oui, clairement. 1 personne sur 5 abandonne. J’ai passé mes 10 jours comme on gère un ultra-trail, un kilomètre à la fois. Mais est-ce que la vie est dure ?
- Pourquoi ça dure 10 jours ? Pour avoir le temps de déconnecter, d’apprendre la technique et de commencer à avoir des résultats concrets.
- Est-ce que je continue à méditer tous les jours ? Non, mais je le fais quand je ressens le besoin.
- Est-ce que je gère mieux mes frustrations ? Oui et j’observe ma respiration quand je sens que la colère ou la frustration monte. Ça me calme direct.
- Est-ce que je regarde moins les écrans qu’avant ? Oui.
- Est-ce que je recommande Vipassana ? Oui. Mais je le recommande à des gens qui sont entre deux jobs, entre deux projets et qui ont besoin de marquer une coupure. Pas quand on a deux enfants en bas âge et une boîte en pleine croissance, j’ai trouvé le retour monstrueusement difficile.
- Est-ce que je le referai ? Non, je ne crois pas.
- Suis-je plus heureux ? Disons que j’ai de nouvelles clefs pour l’être un peu plus.
- Est-ce que je vais battre Chevreuil Bondissant à la Maxi-Race cette année ? Oui, sans hésitation (mais ne lui dites pas car elle va doublé son entraînement). Battre Macareux Polisson en revanche me semble aussi difficile que de jouer au pingpong avec les coudes.
Ce récit est absolument subjectif et ne reflète que ma réalité. Si vous aussi, vous avez fait une retraite Vipassana, voici mon mail : ferdinand@chilowe.com. Je serai ravi de lire vos impressions et de les partager en bas de l’article. Si cet article vous a donné envie de le faire ou si vous avez des questions, n’hésitez pas à me contacter. Il y a évidemment plein d’autres manières de faire un break, de méditer et de se recentrer. Quelles autres expériences me recommanderiez-vous ?
Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.