Exploitation des fonds marins : ce que va changer la nouvelle loi
Le 17 janvier dernier, les députés de l’Assemblée nationale ont voté à la grande majorité une loi « invitant le gouvernement à défendre un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins ». Pas très claire comme phrase, mais on dirait une bonne nouvelle… C’est bien plus que ça : une « victoire historique », lance sur Twitter la militante écologiste Camille Étienne. On a donc creusé le sujet et on s’est rendu compte que le vote de ces 215 députés français allait potentiellement changer le futur des fonds marins. Un sacré pavé dans la mer !
Sommaire
Pourquoi c’est la mouise ?
On le sait depuis un moment : nos ressources ne viennent pas d’un puits sans fond et les réserves s’appauvrissent. Pendant que certains prônent la décroissance ou la croissance verte, des pays et des exploitants de minerais ont trouvé une toute autre solution : se servir sous l’océan. On sait depuis les années 1860 que les fonds marins profonds (à partir de 200 mètres et parfois jusqu’à 6km) ressemblent comme 2 gouttes de mer à notre environnement terrestre avec des chaînes de montagnes, des volcans, des canyons… et des minéraux. En surface, il y a du fer, du cuivre, du nickel, du lithium ou du titane. Et entre 3 500 et 5 000 mètres sous ce plancher océanique, se trouve une énorme quantité de nickel, de manganèse et de cobalt, rapportent les Nations Unies. Bref beaucoup de ressources (et de money money money).
Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a exploité ces richesses puisque l’exploitation minière des fonds marins n’est pas autorisée. Mais il y a peu, une société minière canadienne a mis au jour une faille juridique qui lui permettra de commencer une exploitation commerciale des fonds marins d’ici juillet 2023, rapporte Greenpeace. Un coup de théâtre digne d’un épisode de New York Police judiciaire, mais surtout une échéance bien courte pour agir avant qu’il ne soit trop tard.
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Quelles sont les règles du jeu ?
Des négociations sont actuellement en cours au sein du conseil de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) pour la délivrance de licences d’exploitation. Cet organisme intergouvernemental composé de 168 États membres, s’est réuni à plusieurs reprises ces derniers mois. Son objectif : rédiger d’ici fin 2023 un règlement international sur les conditions d’exploitation commerciale des ressources minérales dans les grandes profondeurs marines. Greenpeace explique que pour empêcher les sociétés minières de faire péter les fonds marins en toute impunité, il faut à tout prix empêcher ce code minier de voir le jour. Pour cela, il faut bloquer tout accord international par le biais d’un moratoire (une suspension).
Les deux prochaines réunions de l’AIFM se tiendront en mars et juillet 2023. D’un côté, il y aura « les pays en faveur de l’exploitation minière et les industriels qui vont tout faire pour pousser au déploiement de cette industrie », assure François Chartier, chargé de campagne Océan à Greenpeace. De l’autre : les pays qui se prononceront contre. Si ces derniers sont assez nombreux et ont assez de poids, ils pourront obtenir ce fameux moratoire.
Pourquoi cette résolution change la donne ?
La résolution adoptée à l’Assemblée ce 17 janvier 2023 soutient, « dans le cadre d’un moratoire, l’interdiction de l’exploitation minière des fonds marins en haute mer tant qu’il n’aura pas été démontré par des groupes scientifiques indépendants et de manière certaine que cette activité extractive peut être entreprise sans dégrader les écosystèmes marins et sans perte de la biodiversité marine » (autant dire qu’on va attendre longtemps). La France a ainsi officiellement choisi son clan : celui des pays qui, lors des réunions de l’AIFM, bloqueront l’adoption d’une réglementation pour l’exploitation minière des fonds marins ainsi que la délivrance de licences provisoires d’exploitation.
Dans ce groupe, on compte déjà d’autres copains : l’Allemagne, le Chili, la Nouvelle-Zélande, le Costa Rica, l’Espagne, le Panama, mais aussi le Palau, les Fidjis et Samoa. « On est à quelques pays de la victoire », assure Camille Etienne sur Twitter rappelant qu’il y a 1 an, le sujet était inconnu du grand public et qu’il y a 6 mois, encore aucun pays ne s’était prononcé contre l’exploitation minière des fonds marins. Elle entend bien aller chercher d’autres pays stratégiques comme la Belgique, l’Italie, le Canada, la Suisse, Monaco ou les Pays-Bas.
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Le double effet kiss cool de cette loi
Petit rappel des cours de géographie oubliés : la France est la 2e puissance maritime mondiale. Entre ses côtes métropolitaines, ses départements d’outre-mer, ses collectivités d’outre-mer, ses Terres australes et antarctiques : la France cumule 18 450 km de côtes. Selon le droit de la mer, l’espace maritime d’un État s’étend jusqu’à 200 milles marins (370,42 km) au large des côtes.
On passe au cours de mathématiques : la longueur des côtes multipliée par la largeur de l’espace maritime additionnée à d’autres surfaces comme la mer territoriale = un domaine maritime français de 10,2 millions de km² (sur 361 millions de km² que compte la Terre), rapporte le gouvernement. Du coup, l’avis de la France pèse dans le game des discussions. D’autre part, ce sont autant de fonds marins auxquels on ne touchera pas.
Pourquoi il ne faut rien lâcher ?
Pour bon nombre d’associations, scientifiques et spécialistes, l’activité d’exploitation minière sera dévastatrice pour les écosystèmes océaniques et les espèces qu’ils abritent. Greenpeace dénonce des bulldozers qui retourneront « des tonnes de sédiments, pilonnant au passage des milliers d’espèces, les asphyxiant avec les nuages de matières qu’ils soulèvent ». Car dans les profondes et obscures eaux marines, on trouve des coraux d’eau froide, des crabes yéti, des vers tubicoles ou encore des anémones transparentes : autant d’espèces qui n’existent souvent nulle part ailleurs, rappelle Greenpeace.
Même le secrétaire général de l’AIFM, Michael Lodge, reconnaît que des dégâts pourront être causés par « le mauvais fonctionnement du mécanisme de remontée et de transport, des fuites hydrauliques et la pollution acoustique et lumineuse ». Enfin, les grands fonds marins permettent de capturer 30% du CO2 que l’on émet et rejettent 50% de l’oxygène que l’on respire, rappelle Camille Etienne. Si on les abime, on a autant de chance de gagner la bataille du climat que de monter l’Everest en claquettes-chaussettes.
Comme rien n’est encore joué et que ce n’est pas tous les jours qu’on est sur le point de gagner un combat écologique, on peut prendre 16,5 secondes pour signer la pétition de Greenpeace et pousser le gouvernement à porter la protection des fonds marins dans toutes les instances internationales où se jouent les négociations.
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