Interview : L’homme qui parlait à l’oreille des vignes
Avec le changement climatique, à quoi ressemblera la carte de France des vignes dans 50 ans ? Fera-t-on des vins blancs d’exception en Bretagne et du vin rouge à la réputation mondiale en périphérie de Lille ? Difficile de faire des plans (de vignes) sur la comète et de prévoir l’avenir. En revanche, on a demandé l’avis d’un expert pas comme les autres.
Fabian Le Bourdiec est le fondateur de Vegetal Signals. Son entreprise a développé une technologie pour interroger les plantes en temps réel grâce à un système de capteurs inspirés des électrocardiogrammes. Ils permettent de quantifier leurs besoins en eau ou encore de détecter la présence de maladies. Les capteurs Vegetal Signals sont actuellement utilisés par de nombreux domaines viticoles en France et dans le monde. Bon ok, Fabian Le Bourdiec ne « parle » pas vraiment aux plantes, mais en tout cas, il les comprend !
Quels sont les effets du dérèglement climatique sur le vin ?
Lorsque l’on parle de dérèglement climatique, avec des vagues de chaleur ou de sécheresse, il y a toujours un tonton grognon pour nous expliquer que ce n’est rien parce qu’en 1948, on a connu une année semblable. « Sauf que là, cela fait 10 ans, que chaque année est un aléa », souligne Fabian Le Bourdiec. « On passe d’années hyper sèches, avec des températures beaucoup trop élevées, à des années trop pluvieuses qui apportent leurs lots de maladies. Ou encore de bonnes saisons d’été, mais précédées d’un gel tardif. » En fait, les aléas météorologiques qui étaient occasionnels sont devenus permanents.
Le problème aujourd’hui, selon Fabian Le Bourdiec c’est le manque d’anticipation dans le secteur viticole. « Quand on plante et on entretient des vignes comme on le faisait il y a 50 ans, mais dans des conditions différentes, on fait du vin différent. » Ce qui est difficilement réfutable aujourd’hui (même par les plus sceptiques), c’est que la hausse des températures se traduit par une hausse du taux de sucre dans les grappes et donc d’alcool dans les bouteilles. « Un vin de Bordeaux des années 1990 a un taux d’environ 12 degrés d’alcool. Une bouteille de Bordeaux de 2024 est plutôt à 14,5 degrés d’alcool. L’expérience de dégustation n’est pas la même : on sent plus l’alcool et moins le fruit. »
La cartographie des vignes en France va-t-elle changer ?
Sur ce point, laissons sa boule de cristal à Madame Irma. On peut cependant constater que le vignoble suédois Kullabergs Vingard a remporté 3 médailles d’argent à l’International Wine Challenge en 2023. Plutôt impressionnant pour un pays qui ne dépasse pas les 20°C l’été… « On voit aussi qu’il y a des investissements viticoles massifs en Normandie, dans le Nord, dans le sud de l’Angleterre et que ça plante beaucoup au Canada », constate Fabian Le Bourdiec. « Mais tout ceci est purement spéculatif ! » Et pour l’instant les Anglais font surtout du bon vin effervescent !
Si les vins de Bourgogne ne sont pas près d’être détrônés par des vins british, dans certaines régions de France, la question de continuer ou pas le vin se pose déjà. « Par exemple, à Banyuls-sur-Mer, au sud-est du département des Pyrénées-Orientales, les vignes se trouvent au cœur d’une zone avec la plus forte contrainte hydrique. Dernièrement, il a fallu partager l’eau entre les vignes et la population. » Spoiler alert : les vignes n’ont pas été prioritaires…
Existe-t-il des solutions ?
Ça ne sera pas la première fois que vous entendez ce discours mais : pour se préserver on doit changer et s’adapter. « Avant, on s’appuyait beaucoup sur les appellations. Maintenant, certains expérimentent des modes de vinification différentes, sortent des rails, innovent…», assure Fabian Le Bourdiec. Par exemple, pour faire face au réchauffement climatique le grand cru Château Cheval blanc est actuellement en train de tester l’agroforesterie dans ses vignes. Concrètement, ils arrachent certains pieds de vigne et les remplacent par des pommiers, tilleuls ou érables, créant ainsi une véritable forêt viticole.
Fabian Le Bourdiec évoque également l’exemple de ce vigneron à Bordeaux, qui a décidé de sortir de la célèbre appellation pour faire de la Syrah. « Aujourd’hui il est identifié (et apprécié) comme tel par les amateurs. » Parfois, les solutions sont d’une simplicité déconcertante. Il y a quinze ans, les vignobles étaient automatiquement désherbés pour que tous les nutriments aillent directement à la vigne. Mais avec les pics de températures actuels, les sols sans herbe s’assèchent beaucoup. Fini le désherbage.
Comme quoi, même dans le vin, il suffit de tendre l’oreille pour se faire souffler les bonnes solutions par la nature.
Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.