3e prix du concours Géronimo : « Un été électrique »

3e prix du concours Géronimo : « Un été électrique »

Géronimo - Un été électrique

Cet été, on vous a lancé le défi d’imaginer à quoi ressemblerait le monde si une espèce animale se mettait en grève. Vous avez été plus d’une centaine à nous envoyer vos nouvelles. Chilowé publie aujourd’hui les 3 récits vainqueurs du prix Géronimo 2023. 

Nouvelle signée : Florent SEVIN

 

Cette rencontre d’une importance capitale se passa le 7 avril 2043 sur un îlot secret perdu dans la mer des Caraïbes à quelques encablures des côtes panaméennes (le nom de cet îlot est tenu secret pour des raisons évidentes de sécurité). Le paysage de cette petite île était paradisiaque et vierge dans les années 2000 mais les choses avaient vite changé ensuite. Les cocotiers étaient en berne, le sable blanc était devenu gris et les coraux avaient blanchi.

Le jour en question, sur la plus grande plage de l’île, 439 tortues marines se réunirent après le coucher du soleil et Marta, la plus âgée du groupe, commença alors son discours d’un air sérieux :

– Mes chères camarades, l’heure est grave. Ce qu’on avait prévu depuis des années s’est produit. Les derniers coraux de la baie se sont éteints le mois dernier. Comme on l’a déjà évoqué à maintes reprises, ceci est dû au réchauffement de l’eau causé par l’Homme. Pollution et réchauffement global, l’Homme fait tout pour avoir nos écailles, nos branches, notre peau, nos fourrures, enfin bref vous m’avez comprise. Nous devons réagir si nous ne souhaitons pas disparaître à notre tour.

Une patte se leva alors dans l’assemblée.

– Je t’écoute Katy.

– Et qu’allons-nous faire? Notre éloignement des côtes et notre décision de ne pondre que sur les îles et îlots inhabités depuis huit ans ne semble pas préoccuper les Hommes. Ne plus les voir dans leur combinaison de plongée venir nous observer en plein festin est certes fort agréable mais concrètement, rien n’a changé. Je rappelle que le lagon a connu de nombreuses victimes cette année encore. D’ailleurs, pas plus tard qu’il y a deux jours, Louise est décédée après avoir avalé un sac en plastique. Nos intestins sont remplis de plastique et l’eau devient si chaude que je transpire en nageant et que je me fatigue beaucoup plus vite qu’avant. J’ai perdu 4kg en un mois mais je n’ai tellement plus de force que je me sens vraiment lourde. Et je vous rappelle que si ma cousine s’est retrouvée avec une paille dans le nez, ce n’est pas parce qu’elle est cocaïnoturtle…

Marta reprit la parole.

– C’est pour cela qu’avec l’ensemble du conseil, nous pensons qu’il est l’heure de lancer le plan extrême : « Un été électrique ».

Ce fut alors la stupeur dans l’assemblée et on entendit des centaines de chuchotements puis quelques secondes plus tard les premiers cris.

– Oui, c’est l’heure !

– Allons-y !

– C’est le moment d’agir !

Et pour les plus extrêmes :

– Mort aux bipèdes !

– Vive les carapaces libres !

– La mer est à ceux qui savent nager, pas à ceux qui doivent apprendre !

– Les humains ne sont pas cools, il faut qu’ils coulent !

Après le retour du silence, Marta reprit la parole.

– Pour ceux qui l’ignoreraient encore, je vous rappelle ce qui va se passer à partir de demain en raison de « l’été électrique ». Et bien tout simplement, nous arrêterons de manger des méduses et ce pour une durée indéterminée. Certes, nous serons privées d’une denrée délicieuse et facile d’accès mais c’est la seule solution. Les méduses vont donc envahir les océans et les mers, ce qui rendra la baignade impossible aux humains.

Evelina, le bras droit ou plutôt « la patte avant droite » de Marta ajouta ensuite.

– Marcela et Carlota sont chargées de créer dès ce soir des équipes qui iront transmettre l’information de l’exécution du plan à nos congénères des océans Atlantique et Pacifique. Je remercie les volontaires d’aller se manifester auprès d’elles. Yasmina et Morgane ont la mission de former des équipes pour prévenir nos cousines terrestres. Sachant que dans notre assemblée, vous êtes seulement vingt-sept membres à être en capacité de communiquer avec les espèces terrestres, vous serez toutes missionnées.

Marta clôtura alors son discours

– La rapidité n’étant pas notre point fort, je ne vais pas faire un discours plus long. Je souhaite beaucoup de courage à celles qui vont nager et marcher pour transmettre notre message. Pour le moment, aucune sanction n’est prévue pour celles qui se laisseraient tenter par l’absorption d’une méduse mais si vous ne respectez pas la consigne, alors cela changera. N’oubliez pas que cet effort est nécessaire pour garantir la survie de notre espèce. J’aurais aimé qu’on se rencontre à la fin de l’été mais notre rythme de vie ne nous le permettant pas, on se donne rendez-vous l’an prochain à la même date. Nous ferons alors le point lors de cette rencontre annuelle.

Et après plusieurs minutes d’applaudissements lents mais tonitruants et de cris déterminés, les tortues quittèrent l’île pour regagner la mer.

*

Un an plus tard, ces mêmes tortues se réunirent à nouveau pour faire un bilan de leur action. Une fois que chacune d’entre elles eut creusé son petit trou dans le sable pour être confortablement installée, Marta prit la parole.

– Je tiens à toutes vous remercier pour les efforts effectués lors des derniers mois. Bravo aux équipes qui ont réussi à transmettre le message à temps et qui ont réussi à convaincre nos camarades de suivre notre mouvement. Toutes les côtes du monde se sont retrouvées envahies par les méduses et la baignade fut interdite aux humains sur la grande majorité du globe.

Les tortues se levèrent alors en quelques longues secondes pour s’acclamer puis Marta continua.

– Les tortues terrestres ont rejoint notre mouvement à travers une action originale. Elles ont mis en place le plan : « la tête dans le trou » consistant à s’enfermer dans leur carapace à la vue d’un humain.

On entendit alors autant de rires que d’acclamations dans l’assemblée puis Marta continua.

– Il semblerait que l’humain ait décidé d’agir puisqu’il s’occupe depuis quelques mois du nettoyage de l’océan et notamment de la suppression du continent plastique. Nous avons également constaté une réduction de moitié du nombre de ferries, porte-conteneurs et tankers. Aucune marée noire ne s’est d’ailleurs produite cette année. Si cela continue, nous pouvons espérer le retour des coraux dans notre baie dans les années à venir. Les humains ont également décidé d’agir pour diminuer le nombre de méduses mais on est très loin d’être en période de disette. Nous allons donc pouvoir manger de nouveau des méduses.

Des bruits de lèvres mouillées se firent alors entendre dans le groupe avant que Marta ne vînt calmer un peu les ardeurs des gourmandes.

– Je comprends votre enthousiasme. Néanmoins, afin que les humains ne relâchent pas leurs efforts, le conseil propose que pour l’année à venir, nous ne mangions que la moitié de la quantité que nous avalions avant cette période de grève. Il en resterait alors suffisamment pour les déranger.

De forts applaudissements vinrent acter l’évolution de la mesure. Les tortues repartirent alors dans les eaux caribéennes avec un sourire aux lèvres, la pleine lune reflétait les dizaines de carapaces à la surface de l’eau. Était-ce un rêve ou l’Homme avait réellement décidé d’agir ?

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