Marcher 1000 bornes sans tendon d’Achille
“Shit happens” répondit Forrest Gump à un type qui lui signalait qu’il venait de marcher dans une crotte de chien. Un jour dans la vie de Matthieu, maxi shit happened : un accident de sport puis un séjour chaotique à l’hôpital lui firent perdre son tendon d’Achille. Les médecins ne savaient alors pas s’il pourrait remarcher un jour. Pas le meilleur truc qui puisse arriver à un type qui faisait à l’époque 10 heures de sport par semaine…
Pourtant, deux ans plus tard, voilà le Breton au départ d’un défi sur lequel ses pensées et surtout sa volonté seront ses meilleurs alliées : 1000 km et 18 000 mètres de dénivelé positif le long des côtes de Bretagne.
Hello Matthieu, on est très contents de t’avoir dans Chilowé. Ça fait des mois qu’on a envie de partager ton histoire… Est-ce que tu peux commencer par nous dire qui tu es ?
Oui bien sûr ! J’ai 33 ans et je suis originaire de Saint-Malo. Aujourd’hui j’habite à Lille, je suis marié, on a une petite fille de 14 mois et un numéro 2 en route. Je suis passionné de sport depuis que je suis tout petit, surtout ceux qui se jouent avec un ballon… J’ai besoin de rythme et d’intensité : j’adore éprouver mes limites en équipe, me donner vraiment à fond pendant toute la durée d’un match. J’ai passé toute ma vie professionnelle chez Décathlon où j’ai occupé plusieurs types de postes : ingénierie, production, approvisionnement etc. Même dans le taff, j’ai besoin que le sport soit omniprésent !
Mais tout ce bel équilibre que tu avais construit a été bouleversé par un accident en 2018…
Oui, je me suis rompu le tendon d’Achille un jour en jouant au foot. C’est une blessure assez classique sur ce type de sport, je n’étais pas trop inquiet. Je me suis fait opérer, ça s’est bien passé mais derrière j’ai eu tout un tas d’infections, avec des bactéries qui m’ont petit à petit bouffé tout le tendon – 15 à 20 cm quand même ! Le gros problème, c’est qu’il ne se régénère pas : une fois qu’il est perdu, il est perdu. J’ai passé 4 mois à l’hôpital, les médecins ne savaient pas si je pourrais remarcher en sortant et à certains moment j’ai cru que j’allais perdre ma jambe. Autant te dire que quand tu as 30 ans et que normalement tu fais 10 heures de sport par semaine, ton moral en prend un sacré coup.
J’imagine, mais j’ai cru comprendre que tu étais plutôt du genre têtu ?
On était au printemps et j’avais prévu de me marier en août ! Les chirurgiens me conseillaient de décaler, mais pour moi c’était un objectif qui me permettait de ne pas baisser les bras. Je suis sorti de l’hôpital en juin, dans un fauteuil, avec un tendon d’Achille et 15 kg de moins. Le tendon, c’est le lien entre le pied et le mollet : sans lui, la jambe ne peut plus être propulsée correctement… Pour le mariage, j’avais une ambition simple : traverser l’église en marchant, seul comme un grand. J’ai travaillé comme un bourrin et je m’en suis sorti en m’aidant d’une canne à l’ancienne plutôt que des béquilles qui étaient initialement prévues. C’était une première victoire !
A partir de là, j’imagine que ta motivation s’en est trouvée décuplée ?
Alors que les médecins doutaient que j’allais remarcher, je voulais courir ! Le sport était un tel équilibre dans ma vie d’avant que je n’envisageait pas d’y renoncer. J’ai mis le paquet sur la rééducation, physique et mentale, tous les jours. Avec mon kiné, on y est allés par étapes : mon cas était unique en France, il n’y avait pas vraiment de protocole. Il fallait avancer, mais pas trop vite pour ne pas faire plus de dégâts. Avec ma femme, la priorité c’était de sauver ma jambe et on y est allés à fond. Elle m’aidait à monter les escaliers et surtout, elle était là dans les moments où le mental flanchait… J’ai mis 1 an pour finalement réussir à marcher à nouveau, presque normalement. Je ne pouvais pas non plus reprendre le sport comme avant, loin de là. Du coup, je me suis intéressé aux handisports et notamment au basket en fauteuil pour lequel je me suis vraiment passionné !
Il y a vraiment un truc avec l’obstination chez les Bretons. Je crois d’ailleurs qu’il y a un proverbe là-dessus ! Mais venons-en à ton projet sur le GR 34 : comment t’est venue l’idée ?
A l’hôpital, j’avais créé une page Facebook qui s’appelait “Au Mental”, dans laquelle je partageais mes péripéties depuis l’accident. En lisant les messages que je recevais, je me suis rendu compte que beaucoup d’autres personnes vivaient des difficultés similaires suite à des accidents, et me remerciaient pour la manière positive et optimiste dont je partageais mon expérience. En allant à un festival de films d’aventures, je me suis dit que ça serait un super message à envoyer, que de me lancer dans un défi sportif lié à mon handicap. J’ai choisi la Bretagne parce que c’est ma terre d’origine et qu’il y a des centaines de coins que je n’y connaissais pas encore !
Le projet c’était donc : 1000 bornes en 40 jours, le long du GR 34 entre le Mont Saint-Michel et la presqu’île de Crozon. Une jolie trotte !
Oui, sans oublier les 18 000 mètres de D+ ! J’avais un objectif de 25 km par jour et je devais partir seul avec ma tente sur le dos. Je me suis entraîné à fond les ballons, en allant escalader les terrils autour de Lille et en allant crapahuter sur les falaises de la côte d’Albâtre. Mais le confinement de mars 2020 est arrivé et ça a tout chamboulé !
Qu’est-ce que ça a changé ?
Le départ a été repoussé au mois d’août et entre-temps on est devenus parents… Pas question de laisser ma femme et mon bébé à la maison ! On a donc réécrit le projet en famille : les filles me suivaient en camping-car et je les retrouvais chaque soir pour la nuit. Ça m’a pas mal facilité le projet et surtout ça nous a permis de vivre une aventure de dingue ensemble.
Ce délai t’a également permis de donner une résonance plus importante au projet…
Oui, j’ai passé les deux mois du confinement à bosser pour trouver des partenaires et financer l’aventure mais surtout pour faire de cette expérience une manière de promouvoir le sport pour tous : j’ai impliqué des associations et des athlètes handisport pour partager un message optimiste et motivant au plus grand nombre. Je me demande souvent quelle tronche aurait eu ce projet si j’étais vraiment parti en avril comme c’était prévu initialement…
Venons-en au grand départ !
Yes ! Le 29 août 2020, au pied du Mont Saint-Michel. C’est le tout début du GR 34, qui s’étend sur 1800 km jusqu’à Saint-Nazaire. Mon objectif : une borne en granit plantée au niveau du kilomètre 1000, sur la pointe de Pen-Hir. Je suis armé de mes deux bâtons, sans qui je peux difficilement ramener ma jambe droite… Ce seront mes meilleurs alliés tout au long de l’aventure !
Plein de gens sont venus m’accompagner sur les premiers kilomètres, je suis super ému par ce qui est en train de se passer. Sauf que je commence mon aventure sur un rythme un peu trop intense : la douleur est de plus en plus forte et dès le cinquième jour je suis à deux doigts d’arrêter… En plus, on accumule les galères avec le camping-car et notre fille de 3 semaines dort très mal la nuit. Du coup, nous aussi. A ce moment-là de l’aventure, ça sent sacrément le bousin !
Comment est-ce que tu as réussi à te relancer ?
Encore une fois, heureusement que ma femme était là. C’est elle qui m’a fait réaliser qu’après tout ce par quoi j’étais passé, abandonner n’était pas une option. J’ai appelé mon kiné, mon généraliste et mon ostéo pour une réunion de crise ; à force de les voir, c’était devenu des potes ! J’avais ce qu’on appelle le syndrome de l’essuie-glace : un truc fréquent chez les coureurs mais extrêmement douloureux. Il m’ont chacun fait leurs recommandations pour négocier la suite. J’ai commencé par m’arrêter deux jours puis j’ai appliqué un protocole de soin et de nutrition hyper strict. C’était ça où on rentrait direct à la maison !
Et alors en chemin, est-ce que la Bretagne a répondu à tes attentes ?
Tellement ! Je me suis vraiment pris une belle claque, que ça soit par les rencontres avec les inconnus qui venaient spontanément m’accompagner sur quelques kilomètres, que par les paysages et les éclairages qui changeaient en permanence. Gros coup de cœur pour les falaises de Plouha (malgré le dénivelé), le pays des Abers (plus plat) et le Cap de la Chèvre !
Au-delà de celles impliquées par ta condition physique, est-ce que tu as rencontré d’autres galères ?
La tempête Alex ! Avec des vents à 180 kilomètres/ heure, autant te dire que j’avais intérêt à bien m’accrocher à mes bâtons. J’ai adapté mon itinéraire pour ne pas passer dans une forêt que j’étais censé traverser ce jour-là. J’y suis allé quelques jours plus tard, le vent avait couché des dizaines d’arbres…
Aussi, j’avais anticipé pas mal de difficultés, mais pas du tout celles qu’impliquait le fait de dormir avec un nourrisson. On en a bavé ! Un jour, après une nuit blanche, je suis parti pour 25 bornes après avoir dormi 2 petites heures de 7 à 9. Mon corps n’était pas très content !
Et au bout de 40 jours…
La Pointe de Pen-Hir et la borne des 1000 bornes ! Encore une fois, ça a été un épisode super émouvant : une centaine de personnes s’étaient pointées malgré la flotte, après avoir lu un article la veille dans le canard local. C’est dingue comme le fait de parler du handicap de manière positive peut toucher les gens.
Franchement, chapeau (rond). J’imagine que ça t’a donné des idées pour la suite ?
Bien sûr ! J’ai vraiment envie de continuer à porter ce message du sport accessible à tous et pour ça j’ai un nouveau rêve : participer aux Jeux Paralympiques de Paris. Côté succès, j’ai été pré-sélectionné dans l’équipe de France de volley assis et je compte bien tout faire pour être sur le terrain en 2024. J’ai besoin d’objectifs ambitieux et celui-ci l’est suffisamment pour ne pas savoir si je vais y arriver… C’est le sentiment que j’avais sur la ligne de départ de mon défi 1000 km, et c’est exactement le genre de sensation dont j’ai besoin pour me sentir pleinement vivant.
Merci pour tout Matthieu ! Pour suivre la suite de tes aventures, où est-ce que ça se passe ?
[Article publié en octobre 2021 et mis à jour en juillet 2022]Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.