Récit : « J’ai pédalé de Paris jusqu’en Asie avec un niveau Vélib’ »
Le 29 janvier 2022, je suis parti à vélo depuis le pied de l’appartement de ma grand-mère à Paris pour finir 4 mois et 12000 km plus tard à la frontière entre la steppe kazakhe et la taïga russe. Traverser les Alpes en hiver, longer les frontières syriennes et irakiennes au Kurdistan, pénétrer en Iran au moment du Ramadan et parcourir la Pamir Highway : j’ai improvisé au jour le jour, en fonction des prévisions météorologiques et en trouvant souvent un endroit où dormir après le coucher du soleil. La solitude, les traversées de déserts, la rareté de la nourriture, les routes de gravier poussiéreuses, le budget limité, les forts vents contraires et les températures allant de -15°C à +40°C ont fait de ce voyage un véritable défi.
Sommaire
Pourquoi je me suis lancé ?
À l’époque, je viens de terminer un boulot d’un an dans un fond d’investissement et j’ai envie de faire un long voyage avant de reprendre un master en finance. Je suis déjà parti plusieurs mois en Amérique latine en mode backpacking d’auberges en auberges, mais j’ai envie de voyager différemment, de ne pas faire la même chose que tout le monde, d’aller au contact des populations et de me lancer un défi sportif.
Je suis tombé sur la vidéo Youtube d’un cycliste anglais qui a fait le voyage Shanghai-Newcastle par la route du Pamir. La route du Pamir (M41), bon nombre d’entre vous n’en ont certainement jamais entendu parler, mais moi, son nom me paraissait (et me paraît toujours) presque féerique. C’est la deuxième route la plus haute du monde et la seule qui traverse les montagnes du Pamir sur plus de 1200 km à travers l’Afghanistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan.
J’ai décidé de faire pareil que lui, mais dans l’autre sens ! J’ai acheté un vélo similaire, le même matos et les mêmes sacoches que j’ai accroché aux mêmes endroits que lui ! J’ai passé l’entretien pour mon master un vendredi et je suis parti le lendemain. J’ai eu la réponse positive sur la route dans la semaine qui a suivie !
Partir avec une expérience « niveau Vélib’ » : bonne ou mauvaise idée ?
Avant d’entreprendre ce grand voyage, je n’avais jamais parcouru plus de 30 km à vélo. Ma seule préparation avec mon nouveau vélo : 3 km autour du Parc du Luxembourg pour vérifier le fonctionnement des pédales automatiques. N’ayant jamais utilisé ces pédales je ne voulais pas passer pour un imbécile devant toute ma famille le jour du départ. Raté : j’ai manqué de tomber dès le premier virage car mon guidon était mal vissé.
L’immense avantage que j’ai eu en partant sans aucune expérience c’est mon innocence : je n’imaginais pas à quel point ce voyage allait être difficile autant d’un point de vue mental que physique. C’est plus facile de partir sans savoir à quel point tu vas souffrir, que tu vas faire du vélo pendant 4 jours sous la pluie ou que tu vas finir le 1er jour à pied parce que tu n’as plus d’énergie !
Mais mon ignorance de la pratique du vélo m’a aussi fait prendre des décisions plus ou moins réfléchies : traverser les Alpes à vélo au pic de l’hiver en février et infliger à mes genoux de pédaler plus de 120 km par jour, alors qu’ils étaient jusque-là habitués aux vélib’ entre le Parc du Luxembourg et la Gare du Nord (5 km). Résultat : en arrivant à Munich, je ne peux plus marcher et il m’est impossible de plier ma jambe droite.
Plus tard dans mon voyage, sur la route du Pamir, après le passage du col de l’Ak-Baital Pass à 4655 mètres, je suis pris dans une tempête de neige d’une violence inouïe. Je suis complètement seul, en short et avec une toute petite veste. Mais j’ai grandi à Lyon : la montagne je connais et ce n’est pas la première fois que je me retrouve dans une tempête. Je sais qu’il faut absolument descendre le plus vite possible car je suis en danger. Je me lance à travers la neige qui me fouette le visage et m’empêche d’ouvrir les yeux. 40 minutes plus tard et 500 mètres de dénivelé plus bas, la tempête se calme. Je suis sauvé. Je n’avais pas de connaissances en vélo en partant, mais j’ai pu m’appuyer sur d’autres compétences pendant ce périple.
À quoi ressemble une journée type ?
À part quelques arrêts dans des villes pour visiter ou faire un visa, mes journées se résument à me lever, faire du vélo et trouver un endroit où dormir le soir. J’avais calculé qu’il m’était nécessaire de faire 120 km par jour pour rallier Vladivostok en moins de 6 mois. Il s’avère qu’après une courte période d’acclimatation (et une pause obligée à Munich), je suis tombé dans la pratique de l’ultra-distance et du plaisir addictif de pédaler plus de 13 heures par jour. Au fur et à mesure, j’ai réalisé des distances de plus en plus longues au point de ne jamais parcourir moins de 200 km par jour à la fin de mon voyage.
Pendant ce voyage, je n’ai jamais eu d’heure de réveil ou de coucher. Ça dépendait vraiment du lieu où je dormais. Si c’était chez quelqu’un d’un peu bavard et que je me couchais à 4h, forcément je me levais plus tard le matin. Si je dormais dans la rue, il m’arrivait souvent des péripéties qui me faisaient partir plus tôt !
Quand je roulais dans le désert, sans rien à regarder et avec un vent battant qui en venait à me faire mal à la tête, j’écoutais de la musique et des podcasts. Sinon, je pensais à ma famille, mes proches, mon futur master, le mec rencontré au resto juste avant, à ce moine kazakhe qui m’a hébergé, à la discussion qu’on avait eue. Je pensais aussi beaucoup à mon itinéraire et bizarrement à mes futurs projets à vélo : la course d’ultra distance la French Divide ou encore faire la traversée de l’Afrique à vélo !
Manger et dormir quand on a rien pour manger et dormir
Mon arrivée dans la ville d’Aktau au Kazakhstan marque mon entrée en Asie Centrale et le début d’un nouveau voyage. Pour m’alléger, je décide de renvoyer chez moi ma tente et mon réchaud ainsi que les 2 sacs à l’avant de mon vélo (via la poste locale pour 40 €). À partir de ce jour, il faut absolument que je finisse mes journées proche d’un restaurant et d’un abri quel qu’il soit afin de pouvoir me restaurer et bivouaquer. Or, j’entre dans l’une des régions les plus désertiques du voyage : le Karakalpakstan et ses steppes à perte de vue. Certaines portions de route n’ont aucun restaurant sur plus de 150 km.
Malgré tout, sur la route du Pamir au Tadjikistan, j’ai traversé les 1200 km et 17000 mètres de dénivelé positif en 7 jours en dormant tous les soirs chez l’habitant. Sans abuser de l’hospitalité débordante des Tadjiks, voici la stratégie que j’adoptais pour trouver un hôte le soir venu, lorsque j’étais totalement épuisé. Je demandais au premier passant venu le restaurant le plus proche en mimant de la nourriture avec ma main. Sachant pertinemment qu’il n’y avait aucun restaurant dans les parages au vu de l’éloignement de cette région, le passant me suggérait dans la quasi-totalité des cas de venir dîner puis dormir chez lui.
Accepter de faire demi-tour
Lorsqu’on voyage à vélo à travers l’Asie Centrale juste après le Covid-19, il vaut mieux avoir du temps et être flexible sur son itinéraire ! Lorsque j’arrive à la frontière entre le Tadjikistan et le Kirghizistan, les gardes refusent de me laisser passer. La frontière reste fermée pour cause de conflits diplomatiques entre les deux pays concernant des réserves en eau. Après tous mes efforts de négociation, je réalise que je pédale dans un cul-de-sac depuis 2 semaines. À bout de forces, je fonds en larmes d’épuisement mental devant le garde des frontières. Sans succès, je dois faire demi-tour. Mais ce ne fut pas mon seul refus d’entrée à la frontière…
L’objectif initial de ce voyage était d’atteindre l’Océan Pacifique et la ville de Vladivostok à vélo. Comme les frontières chinoises étaient fermées à cause du Covid-19, j’ai dû faire un détour de 6000 km à travers la Russie. Après avoir obtenu par miracle un visa d’un mois, j’ai traversé le Kazakhstan et suis arrivé à la frontière russe. Malheureusement, mon voyage s’est arrêté là puisque le garde des frontières russes a refusé de me laisser rentrer sur le territoire à cause du Covid-19. Étant bloqué entre la Russie, la Chine et l’Afghanistan, j’ai décidé de mettre un terme à mon voyage et de rentrer chez moi.
Foire aux questions (1-2-3 phrases par réponse)
- Qu’est ce que ce voyage m’a appris ? J’ai toujours eu confiance en autrui, mais ce voyage a confirmé mon avis sur la gentillesse du monde entier. Je suis allé dans plein de zones classées rouges par le gouvernement français et bien c’est là où les gens étaient les plus généreux, accueillant et souriant.
- Combien m’a coûté ce voyage ? J’ai dépensé 3000 euros en vélo et matos avant de partir, puis 2000 euros en 4 mois avec le vol de retour inclu.
- C’était quoi mon équipement ? Un vélo Cube NuRoad Pro (10.5 kg), des pneus : Schwalbe Tubeless 45mm et pas mal d’équipement que je vous présente dans une vidéo sur Youtube juste là.
- À qui je conseillerais ce voyage ? À toute personne qui a soif d’aventure, n’a pas peur des gens et a envie de se dépasser. Il faut savoir que c’est 4 mois d’inconfort qui demande une résilience mentale assez forte !
- Qu’est ce que j’ai fait depuis ce voyage ? J’ai rejoint ma copine à Rio au Brésil en vélo en partant de Lima au Pérou (4800 km). J’ai pédalé 200 km par jour pendant 25 jours avec une journée off. Cette fois j’étais sponsorisé et j’ai levé des fonds pour une école dans les favélas de Rio. Au début je trouvais ça un peu hypocrite parce que je roule pour moi, mais en fait dans les moments dures tu te dis que tu le fais pour d’autres et ça rebooste.
Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.