L’autre Tour de France : une aventure à pied et à vélo
Il y a celui qui est parti vendredi 1er juillet de Copenhague : 4 pays, 21 étapes, 176 coureurs, 10 millions de personnes au bord de la route. Un rendez-vous sportif légendaire, une grosse machine publicitaire qu’on ne pourra pas s’empêcher de suivre malgré tout. L’occasion pour nous de revenir sur un autre Tour de France que Nicolas a effectué l’été dernier.
L’aventure d’un type solo, en reconversion professionnelle, qui s’élança de Dunkerque sur un vélo qu’on lui a prêté, pour une jolie virée de 6000 et quelques bornes. Pendant 4 mois, Nicolas – alias Loutre Nomade – a rallié le ch’Nord au Pays basque à vélo, avant de traverser les Pyrénées et longer la Méditerranée à pattes pour rejoindre la frontière italienne. On est allés lui poser quelques questions pour comprendre ce qu’il a appris sur la route. Et surtout pourquoi c’est plus important de se lancer des défis que de regarder les autres transpirer à la télé !
Salut l’aventurier, peux-tu te présenter ?
Bien sûr, je suis Nicolas, alias Loutre Nomade. J’ai 30 ans, je suis originaire de Lille et je fais en sorte de passer un maximum de temps dans la nature à crapahuter, seul ou avec des copains. J’ai bossé pendant 10 ans dans la logistique, que j’ai quittée l’année dernière pour me lancer dans la cuisine. Mon aventure à pied et à vélo s’inscrit dans une vraie période de transition vers cette nouvelle vie !
En 2020, tu t’es lancé dans une traversée à pied de Menton à Lille. Pourquoi ?!
A force de lire des bouquins d’aventure et de suivre les projets des autres, j’ai eu envie de me lancer à mon tour. J’étais habitué à des expériences d’un week-end à une semaine maximum, je voulais me tester sur du plus long terme. Comment est-ce que je vis la solitude ? Comment est-ce que je réagis à un confort limité ? Qu’est-ce que ça fait de changer ses habitudes quotidiennes et son mode de vie ? Comment est-ce que je vais réagir physiquement ? L’idée était de répondre à ce genre de questions en profitant de ma transition professionnelle qui me laissait quelques mois de libres. C’est rare d’avoir du temps.
Le programme initial était la traversée des USA par le mythique Pacific Crest Trail, tout était prêt. Le visa, le permis, l’équipement : l’aventure devait commencer le 23 avril 2020… Puis le « Coco' »est passé par là et j’ai dû réfléchir à des projets réalisables en France ou en Europe. Finalement, je me suis créé cet itinéraire en France pour plusieurs raisons : l’envie de découvrir davantage notre joli pays, le bon mix entre montagnes et plaines et j’aimais bien l’idée de rentrer chez moi à pied. Avec du recul, cette aventure a plus de sens, est plus en accord avec mes valeurs que la traversée des USA. De ce point de vue, le Coco n’a pas eu que des effets négatifs !
Comment on se prépare pour une aventure comme ça ?
La préparation s’est faite sur 3 axes : création de l’itinéraire, préparation physique et équipement.
Sur le premier, ça a été assez rapide. J’ai regardé les différents GR qui existaient en France et je les ai fusionnés pour en faire un itinéraire complet de Menton à Lille en faisant un maximum de montagnes. Je ne suis pas rentré dans le détail des étapes. J’analysais les étapes (ravitaillement et spots de bivouac) au jour le jour durant la traversée, et modifiais l’itinéraire en fonction.
Côté physique, j’ai profité du confinement pour faire des exercices de renforcements musculaires jambes et gainage, accompagnés de yoga pour la souplesse et le travail des muscles en profondeurs. J’ai quelques problèmes aux genoux donc je voulais être le moins gêné possible durant la traversée. Et comme je l’avais lu, à moins d’avoir un objectif de performance, je ne pense pas qu’on ait besoin d’une grosse préparation physique. Le corps s’adapte et s’entraine sur le début du parcours, pour devenir après un mois une machine à enchainer les kilomètres. Sur l’équipement, j’ai testé le matériel sur une première randonnée de 200 kilomètres entre Calais et Lille au premier déconfinement dans une zone de 100 kilomètres. Cela m’a permis de m’habituer et de me conforter sur les choix à faire.
Comment t’es-tu équipé ?
Pour ce type d’aventure longue distance, on se rend rapidement compte que le confort est de voyager léger, d’autant plus quand on a les genoux fragiles ! Il faut faire des choix et trouver le bon équilibre entre confort et légèreté. J’ai visé plutôt juste en prenant le minimum et tout m’a été utile. Il faut un bon combo tente – matelas – duvet. Avoir une tente pas trop lourde avec suffisamment de « hauteur sous plafond » pour y passer les soirées pluvieuses confortablement. Un matelas pour bien dormir et récupérer des longues journées. Et un duvet qui s’adapte aux températures à 3000m comme à 100m pour passer la nuit bien au chaud quelle que soit l’altitude. Pas trop de vêtements : en été les températures sont clémentes, il faut juste accepter de mettre le même tee-shirt 4 jours d’affilée ! Enfin, le plus important c’est une bonne paire de pompes.
Et donc en 2021 tu es reparti pour boucler la boucle ! Tu peux nous en dire un peu plus ?
Effectivement, l’idée de faire un tour complet de la France me trottait dans la tête depuis un bout de temps. Début juillet 2021 je suis donc reparti pour 2500 km à vélo de Lille à Hendaye en longeant majoritairement les Eurovélos 1 et 4. Je laisse ma bécane au Pays basque et je continue à pied à travers les Pyrénées via la Haute Route des Pyrénées, une alternative plus aérienne au GR 10. J’ai attrapé ensuite le GR 7 jusqu’à Marseille puis le GR 51 jusqu’à Menton ! J’ai bouclé la boucle à la fin octobre. Pour revivre tout ça, c’est par ici que ça se passe !
Tu as de l’expérience du voyage à vélo ?
Je fais du vélo tous les jours à Lille et j’avais envie de me tester sur des longues distances. J’ai commencé par faire 60 à 80 km par jour pour monter petit à petit vers les 120 voire 150. On m’a prêté du matos – un vélo de course et des sacoches – que j’ai à peine eu le temps d’utiliser. J’ai préparé l’itinéraire à la louche mais je me suis donné toute la liberté de l’adapter en fonction de la manière dont tout ça allait se dérouler !
C’est quoi ton rapport au temps dans la vie de tous les jours ? Et pendant ce type d’expérience en particulier ?
Comme beaucoup, j’ai le sentiment de manquer de temps au quotidien. On vit dans une société où le temps est compté, où on passe 1/3 de la journée à travailler, 1/3 à dormir, et il nous reste seulement 1/3 pour faire tout ce que l’on veut faire. Voir ses amis, sa famille, tester un nouveau restaurant, faire du sport, lire… Pendant cette traversée, le rapport au temps était différent, j’avais moins la sensation de devoir l’optimiser car les activités sont plus limitées et les besoins différents. On est dans l’essentiel : dormir, marcher ou pédaler, boire et manger… au rythme du soleil. On est aussi déconnectés de la notion de semaine et de week-end. Si je n’y réfléchis pas, je ne sais jamais vraiment quel jour on est. C’est le pied !
Ton meilleur souvenir sur la route ?
Il y a une journée que je garde particulièrement en tête. Je me réveille après un bivouac passé au sommet du Mont Buet, au-dessus de 3000m. Lever de soleil avec vue sur le Mont Blanc, le Massif des Aiguilles rouge, les Fiz, le lac Léman et le Jura au loin. La brume apparait vite et j’entame le chemin de crête assez technique avec échelles et câbles, où la chute n’est pas envisageable. La descente commence et continue quelques heures jusqu’au refuge du Grenairon. Le responsable du refuge me conseille de passer par la Transalpine, variante du GR5 par les sommets. Je reprends les 1500m de dénivelé négatif, les genoux commencent à être de plus en plus douloureux, je me prends le pied dans une racine et arrache tout le dessus de la chaussure. Je continue ma route, arrive à 17h à Sixt-Fer-à-Cheval et apprends qu’un bel orage est annoncé le soir.
Il reste 3 heures pour arriver jusqu’au refuge de la Vogeaille où je pourrai planter ma tente et m’abriter si besoin. Il faut remonter de 700m de dénivelé positif et ça fait déjà 8 heures que je marche non-stop. La montée est raide, technique et donc physique. Je rentre comme dans un état second, avec un max d’endorphine. Plus de douleur, la sensation de ne pas fatiguer, l’euphorie… J’arrive à 19h et je mange rapidement. Le responsable du refuge m’aide à bricoler ma chaussure avec un bout de lacet pour qu’elle tienne jusqu’à la fin des Alpes. Je plante ma tente et 10 minutes après, l’orage commence, avec des énormes bourrasques de vent et des grêlons. Je dois tenir ma tente depuis l’intérieur pour qu’elle ne cède pas et croise les doigts pour que la toile ne se troue pas. C’est flippant. Cela s’arrête après 30 minutes et je m’endors rapidement.
Pourquoi je décris cette journée ? Parce qu’elle regroupe tout ce qui rend la randonnée magique. Les paysages de dingue, le fait d’être seul au monde et de faire le plein d’émotions. Les galères météo, physiques, matérielles. L’entraide et le partage. Les imprévus, les changements d’itinéraires, le risque, le dépassement de soi… Tout ce que je recherche dans ce genre d’aventure.
Ta rencontre la plus marquante ?
Difficile d’en évoquer seulement une. Un des aspects sympas du voyage solo est d’engager la discussion dès que tu croises quelqu’un. Pour en évoquer une, il y a Frank, retraité Suisse rencontré au refuge de Madone Fenestre dans le Mercantour. Il voyageait seul, on a discuté quelques minutes et échangé les contacts. Il m’avait dit qu’il habitait dans le Jura. Un mois plus tard quand j’arrive dans le Massif, je l’appelle le matin et lui dis que je peux être chez lui le soir, dans 40 kilomètres. On se connait à peine mais il m’invite aussitôt à diner et m’héberge pour la nuit. Je suis une fois de plus reçu comme si je faisais partie de sa famille. On a 35 ans d’écart mais on partage les mêmes passions, la montagne, la randonnée, et le voyage solitaire !
C’est des moments simples mais tellement réconfortants quand tu fais ce type de voyage. J’aurais pu en citer un paquet d’autres.
Quel est l’objet que tu as toujours sur toi dans la nature ?
Je dirais mon couteau Suisse, toujours accessible dans ma petite poche de ceinture. Pour couper un bout de pain ou un morceau de fromage, pour couper une branche pour faire un feu, pour ouvrir une bouteille de rouge, bricoler un équipement endommagé. Pour moi, c’est l’outil polyvalent et indispensable dans la nature !
Est-ce que tu utilises des appli à vélo et en rando ?
J’aime bien utiliser Komoot. C’est complet, ça permet de planifier ton itinéraire en connaissant le nombre de kilomètres, le temps et le dénivelé qui t’attend, et donc le nombre de jours de nourriture dont tu auras besoin. Tu as la notion de relief, et tu peux te repérer sur la carte avec le point GPS. C’est moins précis qu’une carte IGN, tu ne sais pas si tu es sur un GR ou un tout petit sentier et tu peux par moment avoir quelques surprises sur le niveau de difficulté du chemin sur lequel tu te trouves !
C’est quoi pour toi la micro-aventure ?
C’est partir le vendredi matin au boulot avec tes affaires pour le week-end, quitter le taff un peu plus tôt et prendre le train avec des copains pour aller dans la nature pas trop loin de chez soi ! A pied, à vélo ou en canoë, en mettant un peu de côté le confort. Peu importe la saison, et sans trop regarder la météo : s’il flotte, la douche chaude et la prochaine nuit dans un lit n’en seront que meilleurs ! Il faut que ça ne coûte quasiment rien aussi, que tu puisses en en faire deux par mois sans te poser la question du budget.
[Article publié une première fois en juillet 2021 et mis à jour en juillet 2022]
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