Transformer son indignation en action
Quand on parle de déchets, la question est souvent la même : devant l’ampleur du bazar, comment faire individuellement quoi que ce soit qui ait un effet significatif ? On nous dit que 14 millions de tonnes de microplastiques gisent au fond des mers… Effectivement c’est un beau boxon, mais à part acheter sa lessive en vrac et utiliser le même masque en tissu (qui commence à sentir sacrément le fennec), difficile d’imaginer faire quoi que ce soit de plus avec ses petits bras !
Et pourtant, on a rencontré deux personnes qui prouvent que ramasser des déchets qui salopent la nature peut être un projet collectif, fun et avec un véritable impact. Sur le littoral méditerranéen et sur la Mer de Glace, Anaelle et Philippe sont des Outdoor Sentinels, la communauté d’ambassadeurs engagés de Lafuma. Ils ont chacun décidé de transformer leur indignation en action : est-ce que leurs aventures sauveront la planète ? Non ! Est-ce qu’elles donneront envie à d’autres de s’y coller avec eux ? Oui ! Et au fond, c’est ça qui compte.
Elle a moins de 30 ans, il en a plus de 70. Ils sont originaires d’Angers et d’Amiens, loin de l’environnement qu’ils cherchent aujourd’hui à protéger. On est allés leur poser quelques questions pour comprendre ce qui les a poussés à l’action, mais surtout pour savoir comment nous lancer à notre tour !
Sommaire
Anaelle Marot
La petite Sirène
Hello Anaelle, tu peux nous dire qui tu es ?
Je suis Anaelle, j’ai 27 ans et je coordonne le projet Azur. Je suis une citoyenne lambda qui en a ras-le-bol d’entendre que les mers et les océans sont asphyxiés par le plastique. J’ai besoin de faire quelque chose à mon échelle, pour arrêter de râler et de me sentir impuissante.
C’est quoi le projet Azur ?
C’est une aventure que j’ai vécue l’été dernier (2020) le long du littoral méditérranéen français. J’ai parcouru 1000 km à vélo et en kayak de la frontière espagnole (Cerbère) à la frontière italienne (Menton), en organisant sur le chemin des collectes de déchets en partenariat avec Lafuma, les assos locales et les institutions territoriales.
Pourquoi tu as fait ça ?
Pour transformer mon indignation et mon énergie en action positive, et montrer que notre manière de consommer a un impact direct sur les mers et les océans. Je cherchais un projet qui me ressemble, qui me permette d’être véritablement alignée. Je pars du principe que quand on aime ce qu’on fait, on le fait bien : ça a été assez naturel d’allier l’aventure en kayak et la rencontre de nouvelles personnes à la collecte de déchets !
Comment tu as eu le déclic qui t’a fait passer à l’action ?
En regardant le film Le Grand Saphir, qui fait le portrait de personnes qui se lancent des défis sportifs liés à la protection de l’environnement.
Tu es originaire d’Angers, qui n’a pas vraiment les pieds dans la Méditerranée. Pourquoi cette destination ?
Parce que c’est la mer la plus polluée au monde, avec une concentration de microplastique 4 fois plus élevée que le 7ème continent qui dérive dans le Pacifique. Et puis parce que j’avais envie de me frotter à un environnement à la fois proche et inconnu. L’aventure, c’est quand même découvrir de nouveaux horizons !
Qu’est-ce qu’on trouve comme déchets dans la Méditerranée ?
La même chose qu’en ville : des masques, des mégots, des canettes, des pneus. Mais surtout des fragments de plastique de la taille d’un petit caillou à celle d’un grain de sable. Ce qu’on peut voir, c’est peut-être 3% du problème. Les 97% restants sont au large : certains déchets flottent d’autres sont entre deux eaux et la plupart finissent au fond.
Quel impact tu as eu avec le Projet Azur ? Tu penses que ça a servi à quelque chose ?
Cet été, on a organisé 41 collectes avec 56 assos, 18 institutions et 735 participants, qui ont permis de ramasser 3,5 tonnes de déchets. C’est purement symbolique ! 300 kilos de plastiques finissent dans les océans chaque seconde… Mais je vois ça comme une action concrète qui remet en question un système de consommation, notamment le suremballage. Je voulais inspirer des gens, comme le Grand Saphir l’a fait pour moi : je pense que cet objectif est atteint !
Comment tu étais équipée pour cette aventure ?
J’ai tout préparé en un minimum de temps pour laisser place à l’imprévu et aux rencontres. Je me suis fait prêter un kayak et j’ai surtout mis l’accent sur la sécurité. La mer, c’est pas n’importe quel environnement ! J’avais donc un gilet, des feux de détresse, un sifflet, un miroir, une VHF, un chapeau, des lunettes de soleil et de la crème solaire. Pour le reste : une tente, un matelas gonflable, un duvet, un tee-shirt, un short, une doudoune et un coupe-vent. Enfin, un filet de 30L et une paire de gants pour le ramassage !
Tes conseils pour lancer un projet qui a un véritable impact ?
Trouvez un problème qui vous indigne, imaginez une aventure pour le mettre en lumière, communiquez, mobilisez du monde et c’est parti mon kiki !
Tu te sens plus optimiste après ton aventure que tu ne l’étais avant ?
Un jour j’ai fait des ramassages sous l’eau : j’ai eu des nausées pendant 3 jours tellement c’était sale. Pour rester positif, il faut garder en tête que notre travail est symbolique ; si on se dit qu’on va nettoyer la mer ça peut devenir complètement déprimant. C’est une démarche de lanceur d’alerte : faire prendre conscience, mobiliser, donner la patate aux gens. Les collectes c’est génial : tu es dehors, il y a une super ambiance et tu fais du bien à la planète !
Ça a dû te donner des idées pour la suite !
Complètement ! Pour 2021, je prépare une éco-aventure sur la Loire : pendant 5 mois, je vais la remonter à vélo puis la descendre en kayak en rencontrant et mobilisant du monde en chemin. 80% des déchets marins viennent de la terre et ont été apportés par les fleuves, je vais me rapprocher de la source du problème. Et surtout, je vais en profiter pour découvrir un nouvel environnement : « on aime ce qui nous émerveille, on protège ce que l’on aime » disait Cousteau !
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Philippe Dilloard
Papy fait de la résistance
Bonjour Philippe, on peut te demander de te présenter ?
Je suis Philippe, je suis né il y a 73 ans à Amiens. Je suis arrivé à Chamonix en 1987 pour travailler 3 mois dans une boucherie et je n’en suis jamais reparti ! Je suis d’une famille de paysans, j’ai encore un peu de paille dans mes chaussures et j’y tiens. Je suis devenu alpiniste en m’installant ici, c’est comme ça que j’ai découvert la Mer de Glace.
C’est quoi la Mer de Glace ?
C’est le plus grand glacier de France (7 km de long, 200 m d’épaisseur), situé sur le versant Nord du Mont Blanc. Il attire des touristes depuis la moitié du XIXème siècle : de nombreuses infrastructures ont été construites pour y accéder et y séjourner. Sa fonte est un symbole assez flagrant du réchauffement climatique : il perd en moyenne 5 cm d’épaisseur par an, et recule de 8 à 10 mètres. Depuis 1950, il a reculé de 2 km !
Et en fondant, le glacier “rend” les vestiges d’une époque pas si lointaine…
Exactement ! La glace libère des déchets venus de l’époque du ski d’été à Chamonix : des restes de vieux restaurants, de remontées mécaniques, des câbles, des poulies, des barres à mines… Mais aussi les poubelles que les refuges jetaient dans les crevasses ! La plupart des projets développés là-haut n’ont finalement pas été viables financièrement : en partant, ils ont tout laissé sur place.
Ça paraît complètement lunaire !
Il faut se dire que tout était monté à dos d’homme, il paraissait impensable de redescendre tout ou partie de ce qui avait pris tant d’énergie à trimbaler là-haut. Et puis il y a 40 ans, les exploitants et les pratiquants de la montagne se disaient que la montagne avait la capacité d’absorber tous leurs déchets. La fonte du glacier nous rappelle que c’est bien le contraire !
Devant ce constat, tu as décidé de mettre la main à la pâte. Tu peux nous expliquer ce qu’est l’Opération Montagne Responsable ?
Depuis 30 ans, j’emmène tous les ans des copains ramasser ce qui a été envoyé par le glacier. Les gens aujourd’hui sont globalement très respectueux de la montagne, tout ce qu’on trouve date d’il y a plusieurs dizaines d’années. On part le matin avec le train de Montenvers, on descend sur le glacier via 180 mètres d’échelles verticales et on se met au boulot. On fait des petits tas qui deviennent des gros tas, qu’on finit par charger dans des immenses sacs qui sont descendus dans la vallée par hélicoptère.
Quel impact a eu le projet ?
On a descendu 26 tonnes en 30 ans ! C’est assez encourageant car on s’attaque à une quantité finie : chaque année on remonte un peu plus haut sur le glacier. Ce n’est pas comme les océans, dans lesquels de nouveaux déchets se déversent en permanence…
Quel est le rôle de Lafuma là-dedans ?
Ils sont arrivés il y a 12 ans pour organiser le projet avec nous, alors qu’il était en train de perdre un peu de son énergie. Tous les ans, ils apportent un soutien financier important et mobilisent une centaine de leur salariés pour venir nous filer un coup de main et faire perdurer le projet : je suis surpris chaque année de voir combien les gens sont impliqués !
Est-ce que ce projet te rend optimiste ?
A mon niveau, je suis super optimiste. Notre envie d’aller là-haut est toujours là, on mènera le chantier jusqu’au bout. Mais surtout, je vois la détermination des jeunes : ils mesurent ce qui va leur tomber dessus et ils cherchent des manière de s’engager pour limiter la casse. Quant à nous les anciens, on fait ce qu’on peut avec nos petits bras : c’est bien assez de la dette qu’on va leur laisser, on ne va pas non plus leur refiler une poubelle !
Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.