Récit : Marcher de Nice au Mont Saint-Michel
Dès son pot de départ à la retraite terminé Pierre – alias Ours Furtif – a décidé de se lancer un nouveau défi : marcher de Nice au Mont-Saint-Michel. Il partage avec nous le récit de son aventure et répond à quelques questions pratiques pour celles et ceux qui souhaiteraient suivre le chemin ! Chez Chilowé, ça nous donne déjà envie d’être à la retraite !
Partir à la retraite, ça peut être plus dangereux que ça en a l’air : manque d’activité, disparition des obligations et des échéances, perte de sens… Alors pourquoi ne pas me fixer un nouveau défi dès le pot de départ avec les collègues terminé ? Ça tombe bien, ils m’ont offert la Ferrari des sacs à dos ! Avec ça, j’ai décidé de rallier Nice où j’habite, au Mont-Saint-Michel où je n’avais encore jamais mis les pieds.
Un jour de sentier, huit jours de santé
C’est la devise de la Fédération Française de Randonnée ! Alors un jour d’avril 2017, je jette les clés de mon appartement au fond de mon sac à dos et pars de chez moi à pied, heureux de voir que des affiches « En marche » ont été collées partout pour m’encourager. Droit dans mes godillots, je suis dans l’air du temps : c’est grisant, mais ça pèse tout de même lourd sur mes épaules.
Cap au nord-ouest jusqu’à La Manche. Rien de bien compliqué, il suffit de suivre les sentiers de grande randonnée : GR 5, GR 510, GR 4, et GR 46 jusqu’à Châteauroux. Pour cette petite trotte, une seule règle du jeu : tout à la force du mollet, sinon c’est le goudron et les plumes. D’après mes souvenirs de Lucky Luke, c’est jamais évident de marcher avec ces trucs-là sur le dos.
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Chargé comme une MUL
La MUL, vous connaissez ? C’est la Marche Ultra Légère, qui consiste à se débarrasser de tout le superflu – dans lequel les ayatollahs de la discipline incluent le saucisson, le bouquin, les chaussettes de rechange et sans doute aussi la mini-savonnette. Ça peut faire la différence sur de la longue distance, mais ça peut aussi affecter votre persévérance si vous vous les caillez et avez la dalle en permanence !
Je trouve un compromis, en me souvenant que si mon sac à dos est mon pire ennemi durant la journée, lui et son fourbi rassurant deviennent mes meilleurs amis lorsque la nuit tombe.
Allez zou !
Après avoir laborieusement remonté la Vallée du Var par les crêtes, parcouru gaillardement les gorges du Verdon, franchi victorieusement le Mont Ventoux, survécu aux autoroutes et aux voies TGV de la vallée du Rhône, recherché avec angoisse les balises absentes dans les gorges de l’Ardèche, monté et descendu toutes les montagnes russes de l’Auvergne, échappé à la famine dans la Creuse et dans l’Indre, mais aussi après avoir réussi à m’extirper de la chute de neige surprise du col de Vauplane, résisté à la tempête au col du même nom, essuyé des trombes d’eau à Manosque, pris de grosses suées dans les champs de lavande, laissé quelques morceaux de tissus techniques sur les barbelés d’Auvergne, je finis par arriver à Châteauroux.
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Check-up de mi-parcours
J’ai l’air de tenir le choc et je tire une certaine fierté de faire ce pèlerinage en partant de la Méditerranée. Devant une bonne pinte, je pense aux vaches, aux fermiers, aux produits du terroir et aux quelques randonneurs rencontrés dont j’ai rempli ma boîte à souvenir et mon estomac.
À la seconde pinte, je repense aux villages et hameaux moribonds traversés, aux Paul, Antoinette, Gaëlle et Maurice avec qui j’ai échangé. Ils ont un paquet de paysages, d’expériences et de bonne bouffe à partager. Comment redonner de la vie à tout ça ? J’ai une illumination :
Retour aux sources
Pas question de rater mon village natal du sud de l’Indre-et-Loire ! D’autant que c’est l’occasion de traverser les étangs de la Brenne, une planète secrète où s’épanouit un joli paquet d’oiseaux aquatiques.
Arrivée triomphale sur la place du Grand-Pressigny, capitale mondiale de la Préhistoire, enviée dans le monde entier pour ses « livres de beurre » en pur silex blond. L’occasion de dormir dans un vrai lit et de se voir offrir la tambouille pendant deux jours !
Tu seras Miquelot mon fils
À partir de Tours, la petite trotte prend une tout autre allure. L’itinéraire à suivre est à présent le Grand chemin montois, 1700 ans d’âge : on se déchausserait presque avant d’entrer. En tout cas ça y est, je suis devenu un Miquelot, un pèlerin marchant vers le Mont-Saint-Michel. À partir de maintenant, je vais collectionner les coups de tampons sur ma crédencial en plus des kilomètres, afin de prouver aux moines du Mont que je mérite de passer une nuit dans l’une de leurs cinq cellules avec vue sur la baie réservées aux vrais pèlerins !
Dorénavant, Saint-Michel m’observe. Je vais vite comprendre que c’est un petit coquin qui va tester ma détermination, mon sens de l’orientation, ma bonne humeur ou encore mon étanchéité afin de savoir si j’ai l’étoffe d’un bon Miquelot. Il planque les autocollants du Mont-Saint-Michel qui balisent le chemin, balance des pluies de moussons pour noyer les sentiers ou ferme les bars et les épiceries avant mon arrivée.
Je pense à Koh Lanta, à Mike Horn, aux évadés du goulag, au Marathon des Sables : je serre les dents, les fesses, les lacets de mes chaussures et je continue. Je compte aussi sur les hôtes / anges gardiens qui jalonnent mon itinéraire : une nuit chez eux remet la tête, le moteur et les godillots à neuf.
Au bout du chemin
Après 1500 bornes, après avoir dormi dans un vestiaire de stade, un abri de pisteurs, un blockhaus, une sellerie de haras, une porcherie désaffectée, un appartement squatté, une chapelle, sur un stade de foot, dans des campings fermés et un paquet d’autres endroits magnifiques, je peux crier « Montjoie ! » en apercevant pour la première fois au loin la silhouette du Mont. Crotté, suant et ravi, je franchis les portes des remparts.
Le mot de la fin pour Michel
Perché en haut de sa flèche dans son armure dorée, j’ai à peine le temps de penser à la ressemblance de l’Archange avec C-3PO, le droïde protocolaire de Starwars, que j’entends tout à coup hurler :
« Écoute-moi, Miquelot ! En défaisant le dragon, j’ai écarté les ténèbres. Durant des siècles, mon exemple a inspiré des millions des pèlerins. Mais leur flot immense s’est tari, car ceux de ton temps m’ont oublié. Mon habit étincelant n’évoque plus que ce robot minable en armure de tôle dorée que vous contemplez bouche bée sur vos écrans.
Mais prends conscience, Miquelot, de l’énorme différence entre moi, l’Archange ailé sauveur du monde et ce droïde peureux et bavard. Demande-toi si cette différence n’est pas la même entre tes grands ancêtres qui ont bâti mon sanctuaire et ces hommes autour de toi qui idolâtrent l’argent et ne sont plus que des pâles reflets de l’homme véritable.
Retourne maintenant chez toi, Miquelot et porte mon message ».
Pâte et chancelant, j’ai répondu : « Promis, Michel, je transmets ».
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Infos pratiques
- Pour aller plus loin : Ours Furtif a fait un guide de sa petite trotte ! Toutes les étapes commentées, les coordonnées GPS des bivouacs et des gîtes, ses coups de cœur, les bons plans, les recettes de terroir qu’il a dégustées figurent dans le récit écrit suite à sa traversée de la France du 24 avril au 5 juillet 2017 : « L’autre pèlerinage – À pied par les sentiers, de Nice au Mont-Saint-Michel » par Pierre HERANT
- Quand y aller ? Pour le faire en une seule fois, partez à la fin avril de Nice quand les chutes de neige ont à peu près cessé sur les Alpes du Sud, afin d’arriver au Mont-Saint-Michel en début juillet avant l’arrivée des touristes. Sinon, partez tout début septembre de Nice et arrivez vers la mi-novembre au Mont-Saint-Michel, mais il commencera à faire plutôt frais pour camper.
- Où se loger ? Ours Furtif n’a pas organisé les étapes avant son départ, ne sachant pas précisément où il allait passer et n’a jamais réservé de gîtes plus de deux jours à l’avance. Avoir une tente légère dans le sac à dos (pesant un kilo dans son cas) permet beaucoup d’improvisation et libère la tête de la recherche d’un nouvel hébergement chaque soir.
- Itinéraire : Il a fait cette traversée en 70 jours et 3 jours de repos (dont deux dans son village natal). Tout l’itinéraire est modulable lorsqu’on part avec une tente, car on peut s’arrêter n’importe où sans avoir à « pousser » jusqu’au prochain hôtel ou au prochain gîte. Bien évidemment, il est très raisonnable de couper le trajet en tronçons et d’en faire un bout à chaque fois que possible en respectant, si possible également, la continuité de la traversée.
Une fois par semaine, le meilleur de Chilowé pour toutes celles et ceux qui aspirent à un mode de vie local, joyeux et tourné vers la nature.