Léa Vigier est à la fois une aventurière, une conférencière et une militante en santé mentale. Diagnostiquée bipolaire à 30 ans, elle associe aujourd’hui des aventures à des actions de sensibilisation. Son objectif ? Faire un tour de France avec 0 € en poche et casser les tabous sur la bipolarité avec les personnes qu’elle rencontre en chemin. Pour créer du dialogue, elle s’installe le pouce en l’air au bord de la route avec une pancarte à la main où figure la phrase « J’suis bipolaire, tu m’invites ? ». Au micro de Chilowé, elle nous raconte sa mission (neuro)atypique.
C’était quoi ta principale motivation ?
J’avais envie de créer un projet sur la bipolarité, de prendre le contrepied de la honte que les gens ont d’être bipolaires, une maladie qui est très stigmatisée. Je constate que les gens ont peur de la bipolarité, ils ont l’impression que face à eux, les personnes qui l’ont, vont « péter des câbles ». À cause de ça, les bipolaires ont honte et n’acceptent pas leur maladie et donc ne prennent pas leur traitement. Ça va avoir parfois des conséquences graves comme tu peux l’imaginer.
Je voulais donc monter de toute pièce un projet en l’associant avec quelque chose que j’adore : voyager et aller à la rencontre des gens, en habitant chez eux. Cette façon de voyager, j’en ai pris l’habitude. Pour tout te dire l’année dernière, j’ai traversé l’Europe avec 1 euro symbolique en partant de Paris jusqu’à Istanbul. Depuis ce voyage, j’avais envie de réitérer l’expérience tout en le liant avec ce besoin militant.
Quelles sont les réactions des gens que tu rencontres ?
Les gens sont toujours très surpris de ma pancarte. Certains pensent que c’est une blague, et pendant que pour d’autres sont réticents. Puis il y en a qui sont très curieux. La majorité des gens n’ont pas la bonne perception de ce qu’est un·e bipolaire, ils imaginent des changements très brusques de l’humeur, une imprévisibilité incontrôlable, et même de la colère, de la violence… Ce qui du coup justifie le fait qu’on puisse avoir peur d’un·e bipolaire. Dans la réalité, les changements d’humeur sont très longs, les phases durent sur plusieurs semaines voire plusieurs mois et ce sont des périodes où on est soit très heureux à un point excessif, soit on est en phase dépressive.
Une fois que j’explique ça aux gens, ils sont toujours très bienveillants. Ça les sensibilise et ça permet de délier la parole : il y a pleins de gens qui me disent « Ma mère, ma sœur est aussi bipolaire… » ou encore « Ah mais attends, au vu de comment tu me décris ça, je crois que j’ai une de mes potes qui souffre de ça, comment je peux l’aider ? ». Ça me fait du bien parce qu’il y a un impact, les gens sont ouverts, généreux et ils sont capables de prendre du recul.
C’est quoi l’idée de ton documentaire ?
Tous les jours, grâce à l’itinérance, je crée du contenu vidéo. Parfois assistée par un vidéaste, je filme tous les jours mon quotidien : les conversations que je peux avoir avec les personnes que je rencontre, les moments de partage… Ces contenus serviront de matière pour notre documentaire qui a pour titre « J’suis bipolaire, tu m’invites ? » (oui, comme la pancarte). L’objectif une fois le documentaire terminé sera de le projeter en salle dans toute la France pour apporter ces messages-là d’espoir et d’aider les gens à mieux s’informer.
Je suis aussi en lien avec l’association Hopestage qui m’a beaucoup aidé au départ. Elle fournit des ressources et un annuaire aux bipolaires avec des formations gratuites, des lives avec des psychiatres et des cercles de parole pour devenir expert·e de sa bipolarité et retrouver une forme de stabilité. C’est aussi une incroyable communauté sur laquelle on peut s’appuyer pour échanger librement et se sentir entouré·e. Aujourd’hui je suis engagée dans cette association, j’anime désormais des lives et je lève des dons. Et ça porte ses fruits parce qu’on arrive à diminuer de 80 % le risque d’hospitalisation chez les bipolaires parce qu’ils se rétablissent en comprenant mieux leur maladie (et en France, c’est énorme parce que ce sont 2 millions de Français qui sont touchés).
Je pense que parler de la bipolarité via une aventure sympa et divertissante est une bonne manière de procéder car on a besoin de ce côté joyeux. On vit assez dans un monde de peur et d’anxiété donc je ne voulais pas ajouter de la lourdeur au paysage médiatique.
Quels souvenirs gardes-tu des gens que tu as rencontrés ?
Le fait de partir à la rencontre des gens et de dépendre de leur bonté (ne pas avoir d’échange d’argent), ça permet aussi d’avoir des relations très honnêtes et de voir la diversité. J’ai rencontré des personnes de tout âge et de toute catégorie sociale. Je me souviens être passée devant une église à Troyes, j’avais été attirée par la voix d’une cantatrice donc je suis entrée à l’intérieur. Sur les bancs, j’ai fait la rencontre d’une dame et je lui ai demandé si je pouvais venir dormir chez elle. C’était une dame qui était très seule et qui était trop contente d’avoir quelqu’un avec qui discuter. Ça, c’est des rencontres qui ne se peuvent pas se créer autrement. Toutes ces personnes sont toujours accueillantes, c’est génial de comprendre que les gens sont mal informés mais qu’ils n’ont pas envie de rester avec ces stigmates là et qu’ils comprennent la souffrance des autres.
Comment on peut t’aider ?
J’ai lancé une cagnotte en ligne pour permettre d’aider les personnes bipolaires. La levée de fonds servira à faire promouvoir le documentaire durant un mois mais aussi à informer 100 000 Français et à former 1 000 personnes bipolaires sur un an.
Chez Chilowé, on aime celles et ceux qui partent à l’aventure avec un sac sur le dos et du sens dans les poches. Léa en fait clairement partie. En levant le pouce et les tabous, elle transforme chaque rencontre en conversation, chaque trajet en prise de conscience, et chaque nuit passée chez l’habitant en moment d’humanité. On a plus que hâte de découvrir son documentaire, et en attendant, on lui dit : merci pour la route.