« Parfois, le Bikepacking c’est comme un jeu de Monopoly, on ne sait jamais sur quelle case (ou pavés) on va tomber ». Voilà une phrase qui résume bien l’incroyable périple à vélo d’Anael : faire le tour de la Méditerranée à vélo en totale autonomie en longeant les côtes, de l’Europe au Maghreb en passant par la Turquie et les Balkans… 345 jours, 13 500 km et 12 pays plus tard, il nous raconte cette incroyable aventure baptisée « L’eau’dyssée de la Méditerranée ».
Quelle mouche m’a piquée ?
J’ai grandi avec des parents qui avaient le voyage comme passion, et les chiens ne faisant pas des chats, je suis tombé dedans étant petit… Août 2014, au départ de Calenzana en Corse, mon père m’embarque dans un périple qui va changer ma vie. Alors âgé de 12 ans, nous entamons 8 jours de randonnée à travers les sentiers épineux du GR20. Cette expérience hors du commun marquera le début de mon histoire d’amour avec l’aventure avec un grand A.
10 ans plus tard, je quitte mon père sur la promenade des Anglais de Nice pour prendre la direction de l’Est. Accompagné par Rigoberto, celui qui deviendra mon fidèle compagnon de route, j’ai nommé : mon nouveau vélo. Cette aventure sera l’occasion pour moi de réaliser des interviews et donner la parole aux acteur.es engagé.es dans la conservation et la protection de la Grande Mer.

Sénèque aurait été un bikepacker exceptionnel
Quand on s’embarque dans ce genre d’aventure, les galères font partie intégrante du projet. Impossible de les éviter, mais il faut au contraire les accepter et les relativiser au maximum. « La vie ce n’est pas d’attendre que l’orage passe, c’est d’apprendre à danser sous la pluie », disait Sénèque…qui aurait sûrement été un bikepacker exceptionnel au XXIe siècle.
La première débute dans l’Atlas marocain. J’y avais fait la rencontre d’Ahmed, un guide amazigh local, qui m’avait aidé à réaliser des interviews avec la dernière génération de nomades du Maroc. Lors d’une rando dans les gorges du Ziz, mes deux jambes, pourtant fidèles et en forme olympique, ne répondent plus. Lourdes comme des pierres. Après 5 jours d’errance à plus de 40 degrés passés entre la maison d’Ahmed et deux hôpitaux, le diagnostic tombe : c’est la rougeole… Je suis contraint d’être rapatrié en France. Un mois plus tard, huit kilos en plus sur la balance, je reprends la route du Maroc en stop depuis mon village varois.
Plus tard pendant mon périple, n’ayant pas obtenu de visa pour l’Algérie, je me vois contraint de repenser mon itinéraire et décide de prendre un bateau-stop dans le sud de l’Italie pour m’amener jusqu’en Grèce. Malheureusement les dieux du vélo en ont décidé autrement… Alors que je suis en route vers Naples, je me réveille couvert de sang dans un hôpital… Je viens de chuter. Renato, mon ange gardien qui a appelé l’ambulance me raconte la scène : la fourche de mon vélo Rigo a rompu et me voilà en pleine dégustation du pavé napolitain. Un repas bien indigeste qui marque le début d’un nouveau rapatriement d’urgence… Cette fois, deux mois sont nécessaires pour retrouver mes incisives et me remettre sur pied.

Rencontre au sommet
Si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est avant tout des rencontres. Des gens qui m’ont tendu la main… Malheureusement, impossible de toutes les citer (vous n’auriez pas le temps pour) mais certains événements méritent d’être évoqués.
En Espagne, un terrible orage m’a fait rencontrer Fabian, un bikepacker suisse parti relier Winterthur à l’Ouganda à vélo. Ensemble, nous avons prêté main-forte aux habitants touchés par la DANA, 15 jours après les terribles inondations de la région de Valence. Pendant neuf jours, nous avons arpenté les rues d’abord armés de nos vélos chargés de produits ménagers puis de pelles et de seaux pour désengorger les rues jonchées de boue. Sur place nous étions logés chez l’habitant grâce à la générosité d’une famille de bénévoles, Laria et Manu, venus respectivement de Colombie et d’Argentine.
Plus tard pendant ce voyage, entre les murs d’une église du Vatican, alors que j’échange avec le prêtre au sujet de l’architecture du lieu, il me demande ce qui m’amène dans la capitale italienne. Je lui raconte mon parcours, de la France à l’Espagne, du Maroc jusqu’à Rome. Mon récit le laisse stupéfait. Quelques instants plus tard, je découvre qu’il n’est pas que prêtre, mais prélat du Vatican et directeur d’un journal vatican nommé Tota Pulchra. Il me propose d’y publier le récit de mes pérégrinations. Depuis ce jour, il suit mon parcours de près et m’a invité à venir donner une conférence au sein de l’État pontifical !

Les ours, Bruce Willis et Louis de Funès
En Macédoine, je décide de randonner sur le Mont Korab, plus haut sommet du pays. Pour accéder au départ de la rando, il faut traverser 15 kilomètres de piste VTT totalement défoncée. Pour me faciliter la tâche, j’y arrive à la tombée de la nuit… Après une dizaine de kilomètres sur un champ de mines, je tombe sur la police aux frontières. L’officier me demande : « Es-tu certain de ce que tu fais ? Tu sais il y a des ours et des loups là-haut. Tu sais où tu vas dormir au moins ? ». Sueur froide sur mon front. Venant d’un policier macédonien, ressemblant à Bruce Willis, il paraît bien effrayé pour ma sécurité. Je lui réponds que tout est ok, plus pour m’auto-persuader que pour le rassurer.
Je roule à présent, dans une noirceur d’encre où je peine à discerner ma propre main. Je m’enfonce dans les profondeurs de la forêt. Seuls quelques yeux environnants m’apportent une lumière dont je me serais bien passé. Après des minutes qui paraissent être des heures j’aperçois une petite chaumière que j’espère vide. Surgit alors le sosie officiel de Louis de Funès, mais macédonien. J’espérais trouver un peu de chaleur humaine, il m’offre une réponse glaciale et m’invite à rejoindre la froideur de la nuit. Je trouve refuge sur des tables abritées par des tôles au milieu des hululements de chouettes.

Ce que je retiens de ce voyage
Dans un tel voyage, les étapes de vélo représentent la partie émergée de l’iceberg, la plus reposante et la plus facile pour tout amateur de cyclisme. Alors que le défi vient de tous les à-côtés, quasiment invisibles de l’extérieur. Ce que je retiens, c’est qu’il ne faut pas attendre de se sentir prêt à 100% avant d’embarquer pour l’aventure de sa vie. Il y aura toujours des zones d’ombre ou d’insécurité. Mais heureusement dans des voyages aussi longs et intenses, on trouvera toujours des âmes charitables.

Mes tips utiles en Bikepacking
- Sortir son sac de couchage de sa housse tous les jours (perte de volume et risque de mauvaises odeurs)
- Faire confiance à sa première intuition et faire attention à l’euphorie provoquée par le vélo
- Se créer des quêtes secondaires sur le vélo pour enchaîner les kilomètres
- Pour dormir chez l’habitant : Demander aux magasins de vélos, associations de quartier, musiciens et toujours engager la conversation avec quelque chose de plus léger.
- Quand on roule en pleine nuit : mettre deux lumières à l’arrière en même temps pour toujours rester visible.
- Avoir une routine pour garder un peu de discipline dans un environnement imprévisible.
- Pour toujours avoir de la batterie (et sympathiser avec les locaux) : demander au bar du village de charger tous les appareils la nuit et venir les chercher au petit matin.


Foire aux questions :
Quel était ton équipement ? mon premier vélo était un Scott Speedster 30 gravel et le second le Adris Aventure GRX400. Mon sac de couchage était un WILSA 300 (600 g), j’avais un cadenas combi ZIP à code, du Squirt long lasting lubrifiant pour entretenir ma chaîne de vélo, un liner Sea to summit et un bivy bag Millet Asphalt.
Combien a coûté ce voyage ? Avant de partir, j’ai dépensé 4000 euros entre le vélo (1500 euros), l’équipement et l’audiovisuel (drone, micro, stabilisateur, trépied, téléphone…) Une fois sur le vélo, je dépensais environ 15 à 20 €, bien évidemment avec de grandes disparités selon les pays.
À qui conseillerais-tu ce voyage ? L’avantage du Bikepacking c’est que cela peut être à la fois très accessible et confortable aussi axé sur la performance. Attention quand même à la charge mentale, avec la multiplication des tâches et la solitude, cela peut vite devenir éreintant.












