Contexte :
Il y a quelques semaines, on vous a lancé le défi de repartir sur les bancs du lycée en choisissant un sujet de notre Bac de Chilo 2025 et de rendre votre plus belle copie. Comme promis, sous vos yeux ébahis, les meilleures créations sur Chilowé. La deuxième de la classe, c’est Claire Manileve avec sa réponse au sujet n°2 : « La Nature a-t-elle besoin de nous ? ».
Je suis là depuis la nuit des temps, je suis née d’un grand bruit, ou dans un grand silence. Personne ne sait.
Au début, je n’étais que peu de chose, juste un bruissement infime dans une immensité d’eau et de nuit. La lumière m’a fait grandir. La légende raconte que le soleil m’a donné l’énergie de croître. De mes eaux sont sortis d’autres vivants, de ma peau des tapis de verdure, de mes os des rochers et des montagnes, de ma respiration des couleurs et des odeurs.
Les vivants m’appartenaient, leurs corps revenaient à ma chair. Ils étaient végétaux microscopiques ou forêts profondes, animaux sur terre, oiseaux, poissons… Une espèce prospéra. Elle se nourrissait de mon énergie. Je lui donnais ma force et ma vitalité. Sans compter.
Tout était pour elle. Elle apprit à me connaître. A m’apprivoiser. A tirer le meilleur de moi-même. Mon sang était sa boisson, ma chair sa nourriture, sa présence sur moi un léger effleurement. Là où était l’eau, je faisais venir le soleil ; là où était la terre, je donnais la pluie. Parfois des spasmes me parcouraient, je crachais du feu de mes entrailles, je m’étirais en faisant craquer les écailles de ma peau. Les vivants humains s’adaptaient, s’enfuyaient, parfois me vénéraient, toujours me respectaient.
Mais un jour, ils furent plus nombreux, ils eurent faim, ils eurent des besoins que je ne pus satisfaire. Ils se mirent à me creuser, me percer, ils aspirèrent ma sève, me dépecèrent morceau par morceau, rejetant leurs poisons dans mon sang, m’asphyxiant petit à petit, toujours plus affamés, plus guerriers, plus destructeurs … Il en était bien quelques-uns pour s’alarmer, que je fondais, que je tremblais, que je m’épuisais, que je me déréglais, qu’on allait me rendre folle.
On ne les écouta pas !
Leur appétit toujours plus fort, leurs besoins toujours inassouvis. Ce n’étaient plus les légers chatouilles de jadis, je les sentais me labourer, me triturer jusqu’à la moelle. Ils ont joué avec mes molécules et mes cellules, essayant de me copier, se sont crus démiurges… Et puis il en fut un, plus avide et fou. Tout disparut. Leur monde synthétique a été rayé. Les hommes, leurs machines, et tout le reste avec… Plus rien, ma peau était carbonisée, mon sang empoisonné mais mon cœur battait. Mon corps malade nourrissait encore la vie. Il en a fallu du temps, et tout recommença…
Alors si on me demande si j’ai besoin de quelqu’un ? Certainement de ceux qui ont su me sublimer, de ceux qui m’ont peinte, chantée, respectée ou vénérée, de ceux qui ont su assimiler mon fonctionnement, étudier mes cycles, de ceux qui ont su me comprendre pour que je donne le meilleur de moi-même, oui peut être … mais assurément pas de ces fourmis qui ont fini par s’autodétruire me faisant payer le prix fort de leur folie consumériste.
Je garde cependant pour eux une infinie tendresse, je ne suis pas rancunière.
D’autres viennent … j’étais là avant, je serais là toujours. Je suis plus forte.
Une copie signée : Claire Manileve