L'Homme est-il un allié pour la Nature ou bien son pire boulet ? Dans le grand club des amis de la Planète et des partisans d'un monde réensauvagé, les avis divergent (et tant mieux). D'un côté, celles et ceux qui pensent que la Nature fait très bien les choses par elle-même tant qu'on veut bien la laisser tranquille. De l'autre, celles et ceux qui estiment que l'Homme doit s'impliquer pour que la nature retrouve ses droits durablement. Alors pour protéger la Nature faut-il la mettre sous cloche ? On a posé la question à des expertes et des personnalités engagées.
Cet automne sur Chilowé, on va vous parler de « rewilding ». Pourquoi ? Parce qu'il est temps que la Nature ait la place d'exprimer sa vraie nature. Ce grand dossier est le 1er d'une longue série puisqu'il en sortira un nouveau chaque saison sur des thématiques variées. Dedans, on trouvera des décryptages, des interviews d'expert(e)s, des récits, des tutos ou encore des portraits. Bref, de quoi vous inspirer et donner envie d'agir.
Un seul objectif, plusieurs chemins
Un territoire réensauvagé, c'est une terre où la Nature a retrouvé sa biodiversité originelle et un écosystème autonome. Pour parvenir à cet état il existe plusieurs chemins avec chacun leurs avantages et leurs spécificités. L'un d'eux consiste à donner un petit coup de pouce à la nature en réintroduisant une espèce animale ou en dépolluant une réserve d'eau. Par exemple, la réintroduction du bison d'Europe en Roumanie a permis de donner un coup de fouet à la biodiversité : les grenouilles se déplacent dans leurs traces de pas de flaque en flaque, les insectes construisent leur maison dans le sol qu'ils ont labouré et les oiseaux utilisent leur fourrure pour construire leur nid (plus d'explications dans cet article).
Une autre méthode consiste au contraire à ne pas intervenir. C'est la libre évolution. « On retire toutes les pressions humaines de manière à laisser la nature se restaurer elle-même grâce à son génie et sa résilience », nous explique Coline Rual, responsable du Pôle Milieux naturels à l'ASPAS. Grâce à cette méthode, l'Association pour la protection des animaux sauvages a déjà créé plus de 1300 hectares de Réserves de Vie Sauvage® et d'Havres de Vie Sauvage®.
Mettons fin tout de suite au débat du « c'est laquelle la mieux ? » D'abord parce que c'est un peu binaire, mais surtout parce que ces deux voies sont complémentaires et dépendent souvent du contexte, des envies, du budget ou du terrain.
Team lapin ou team tortue ?
Le réensauvagement que nous qualifierons d'« actif » (initié par l'Homme), peut permettre un rétablissement beaucoup plus rapide d'un espace naturel, notamment si la zone est particulièrement polluée. Dans certains endroits, on pourrait en effet attendre très longtemps qu'une espèce animale revienne de façon naturelle (vous avez déjà vu des bisons d'Europe traverser la Manche à la nage ?). Parfois, une plante endémique ne peut pas lutter seule contre une plante invasive introduite par la main de l'Homme. Bref, avec un petit coup de pouce humain, les résultats peuvent être stupéfiants.
Mais attention, « réparer la nature c'est partir du principe que l'on sait exactement quoi faire », avertit Coline Rual. Le réensauvagement actif reste très complexe et technique. Les risques de bêtises sont immenses si la démarche n'est pas encadrée par des spécialistes.
Si l'erreur est humaine, à l'inverse, il y en a une qui n'en fait jamais et sait exactement ce qui est bon pour elle : c'est la Nature. « Dans un contexte en perpétuel changement, laisser faire la Nature, c'est lui donner la possibilité de s'adapter au mieux aux changements climatiques et ainsi résister aux variations et aux perturbations », insiste l'experte de l'ASPAS.
Contrairement au réensauvagement « actif », la libre évolution « passive » (c'est-à-dire sans intervention humaine) prend du temps. Eh oui, on n'obtient pas une « vieille forêt » en deux coups de cuillère à pot mon bon monsieur. Mais comme le dit un certain Jean : patience et longueur de temps font plus que force ni que rage. « Plus on laisse faire la forêt, plus elles deviennent résiliantes. »
Je n'ai (pas) qu'une philosophie
Au-delà de leur efficacité, ces deux méthodes posent la question très philosophique du rôle de l'Homme vis-à-vis de la nature. « La libre évolution passive, c'est se dire que l'être humain se croit déjà partout chez lui, se mêle de tout et qu'il serait temps qu'il apprenne à laisser la nature tranquille. Avec le réensauvagement actif, on considère que l'Homme est déjà tellement responsable du mal fait à la Nature qu'il est aussi responsable de sa réparation », énonce Yolaine de la Bigne, porte-parole de l'ASPAS. Vous avez 4 heures.
La question du réensauvagement actif ou passif pose aussi la question de la place de l'Homme au sein de cette nature. Peut-il en profiter, s'y rendre, y observer les animaux ? Beaucoup d'entre nous pensent que c'est en allant dans la nature que l'on recréera une connexion avec elle, qui nous donnera ensuite envie de la protéger.
Le documentaire Rewilding Patagonia montre comment en 30 ans, le couple Douglas et Kris Tompkins est parvenu à réensauvager plus de 7 millions d’hectares de parcs au Chili et en Argentine. Mais c'est surtout en donnant une place à l'Homme et en ouvrant l'accès aux parcs, que le couple a probablement garanti la pérennité de ces sanctuaires pour des centaines d'années. Grace à un long travail de sensibilisation et d'immersion, les populations locales ont reconnecté avec ces espaces, sont redevenues fières d’habiter à côté. Les ouvrir au public a également permis de créer une dynamique économique autour du tourisme.
« Les Tompkins ont réussi à embarquer les communautés locales qui étaient au départ assez méfiantes, voire contre leur projet, explique Arnaud Hiltzer, le co-réalisateur de Rewilding Patagonia. En transformant ces espaces en Parcs nationaux, ils en ont fait des biens communs appartenant à toute la nation. Demain, c’est cette communauté citoyenne qui se lèvera pour les défendre si un gouvernement décide d’en exploiter les ressources. »
Imperfections et juste équilibre
Ouvrir un espace réensauvagé au grand public n'est jamais sans conséquence. Il a beau y avoir des sentiers, certains randonneurs en sortent, causant des dégradations involontaires... Ou volontaires. Le documentaire montre que dans un parc au Chili, des passants ont gravé leurs initiales en énorme sur le tronc d'un magnifique arbre vieux de 3000 ans. De quoi rendre marteau n'importe quel botaniste.
Mais l'erreur d'une personne doit elle pénaliser mille autres ? « Ça serait dommage de couper ces endroits à tout le monde parce qu'une seule personne a fait une bêtise, souligne Arnaud Hiltzer. La présence de nombreuses personnes cause forcément des dégradations... Ça ne peut pas être parfait, mais c'est un équilibre. »
Un jardin d'Eden sans Adam ni Eve
Une question légitime se pose tout de même : aujourd'hui, l'Homme a accès à quasiment l'entièreté de la surface de la Terre. Est-ce que ça serait trop lui demander que certains rares endroits lui soient interdit ? « C'est dur de faire accepter aux humains que la Nature n'est pas leur terrain de jeu. Mais il y a un moment où les animaux doivent avoir la paix », lance Yolaine de la Bigne.
Avoir quelques zones strictement protégées sans aucune présence humaine permettrait en effet à une poignée d'espèces de retrouver une vie normale, à commencer par une vie diurne. Par exemple, les renards ne sont pas du tout une espèce nocturne. Face aux pressions humaines, ils se sont adaptés et ont été contraints de changer de mode de vie.
Ces espaces seraient donc un peu des jardins d'Eden pour espèces sauvages... mais sans Adam ni Eve ! Le plus dur, admettons-le, ça sera de ne pas pouvoir aller y jeter un petit coup d'oeil pour voir ce qui s'y passe. Pour ça, Yolaine de la Bigne a une technique. « Pour accepter que certains lieux ne nous sont pas ouverts, il faut retrouver l'amour du mystère. Si on y va, on casse tout l'imaginaire que l'on a créé autour. Il y a une certaine poésie à cela. »
En conclusion, coexistons
La solution parfaite n'existe pas ? Au Costa Rica, 25% du territoire sont des parcs nationaux, des réserves naturelles et des zones protégées. Le pays a créé des sentiers pour permettre aux touristes de découvrir cette Nature. Les chemins sont surveillés et la nature a tellement repris ses droits tout autour qu'on y réfléchit à deux fois avant d'y mettre un pied.
La solution miracle n'existe pas, mais il est tout à fait possible d'imaginer une mosaïque de territoires avec : des zones strictement protégées des activités ou interventions humaines et d'autres, ouvertes aux humains pour que chacun renoue dans le respect avec la Nature.